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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 octobre 2024 |
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Entrée au répertoire de l’Opéra de Paris de Mathis le peinte de Hindemith, dans une mise en scène d’Olivier Py et sous la direction de Christoph Eschenbach.
Fascinant Mathis
Nicolas Joel n’a pas lésiné. Après Cardillac sous le mandat de Gerard Mortier, Mathis le peintre de Paul Hindemith fait son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris en une grandiose fresque populaire et historique. Un chef-d’œuvre du XXe siècle qui connaît enfin les honneurs de la Bastille, avec des moyens musicaux et théâtraux à l’avenant.
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Déchaîné Olivier Py ! Le directeur de l’Odéon met en scène Mathis le peintre, opéra méconnu en France de Paul Hindemith (1895-1963) en utilisant la machinerie de l’Opéra Bastille à son maximum. Les décors montent, descendent, tournent, s’affolent : pas une minute de répit dans cette œuvre pesante historiquement et fascinante musicalement.
L’histoire fait référence au peintre de la Renaissance Matthias Grünewald (1475-1528) qui, en pleine guerre des Rustauds, prit le parti des paysans allemands contre les princes tandis que s’opposaient les Catholiques et les Luthériens. Le livret écrit par Hindemith évoque les imbrications entre les pouvoirs politiques, financiers, militaires et religieux de l’époque. Mais l’essentiel est une longue méditation sur le rôle de l’artiste et l’engagement politique.
Hindemith a songé à son propre destin. Il fut qualifié d’artiste dégénéré par les Nazis. Son opéra fut interdit en Allemagne sur ordre de Hitler qui serait intervenu personnellement auprès du maestro Wilhelm Furtwängler pour en interrompre les préparatifs. C’est après cette affaire que Furtwängler avait renoncé à ses fonctions à l’Opéra de Berlin. L’œuvre fut créée quatre ans plus tard, à Zurich, en 1938. Traité également de bolchéviks par le régime hitlérien, le compositeur fut contraint à l’exil.
Olivier Py superpose sur plusieurs niveaux l’intrigue de Mathis, celle de la violence de l’Allemagne nazie et celle du régime soviétique. Selon lui, cette génération n’avait guère d’autre choix que de vivre entre Hitler et Staline, explique-t-il dans sa mise en scène. Des policiers portant la croix gammée, accompagnés de chiens, des bolchéviks brandissant des drapeaux rouges, arpentent une partie du plateau, tandis que sur une autre circulent des chars. Au fond, apparaissent les ruines de Mayence.
Au quatrième tableau, des façades délabrées par la guerre, leurs vitres brisées, tournoient de cour à jardin. Pour surcroît de violence, des projecteurs en alerte balayent la salle. Mais, toujours au premier plan, se découpe la structure du polyptique, le Retable d’Issenheim, la plus célèbre des œuvres de Grünewald, conservée au musée Unterlinden à Colmar. Dans le gigantesque cadre du Retable apparaissent des anges musiciens aux ailes rouges, la vierge blonde à la tunique également rouge et en ombre chinoise la mise en croix du Christ.
Cette structure est aussi celle des caves de la cité édifiée sur des arches de livres évoquant la mémoire. Autre décor saisissant : une énorme boule dorée symbolisant la richesse acquise sur le peuple surplombe une cathédrale également dorée qui se transforme en temple protestant noir.
Pourquoi cet opéra est-il si peu représenté ? Le sujet est austère. Il nécessite des chœurs importants et ne fut guère à la mode ces trente dernières années. Certains trouvaient la musique d’Hindemith lourde, pleine de pathos, régressive et trop allemande. En faisant découvrir un chef-d’œuvre du XXe siècle, Nicolas Joel remet les pendules à l’heure.
Cette fresque philosophique sur le sens de l’histoire renvoie inévitablement à Wagner. Pourtant, la vigueur de la musique d’Hindemith puise dans les rythmes populaires, le chant choral luthérien et même le baroque. La musique colle à la narration, elle se fait exubérante souvent, glaçante parfois et frémissante toujours. Elle s’épanouit dans de grands mouvements sombres qu’enflent les cuivres et dans des masses chorales admirables.
L’Orchestre de l’opéra s’approprie cette musique sous la direction rigoureuse et hiératique de Christoph Eschenbach. Le chef retrouve en Mathis son partenaire de tant d’inégalables récitals Schubert, le baryton Matthias Goerne. Dans le doute mélancolique de l’artiste cherchant un sens à sa vie à travers son art, le baryton allemand offre une présence hallucinée. Héritier de Fischer-Dieskau dont il fut l’élève, il lui succède avec la même intransigeance dans le rôle de Mathis, et module de sa voix doucereuse toute la tristesse, l’espoir et la recherche spirituelle du rôle-titre.
Avec son phrasé impeccable, la soprano Mélanie Diener impose la force de conviction de la luthérienne Ursula rongée pourtant par l’angoisse. Présence impressionnante de Scott Mac Allister (le cardinal Albert de Brandebourg) et de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Capito). Mais le délice de la soirée est la lumineuse Martina Welschenbach (Regina), aussi émouvante dans la triste ballade du premier acte que dans l’un des derniers gestes de l’opéra où elle rend le ruban que lui avait offert le peintre lors de leur première rencontre.
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Opéra Bastille, Paris Le 16/11/2010 Nicole DUAULT |
| Entrée au répertoire de l’Opéra de Paris de Mathis le peinte de Hindemith, dans une mise en scène d’Olivier Py et sous la direction de Christoph Eschenbach. | Paul Hindemith (1895-1963)
Mathis der Maler, opéra en sept tableaux (1938)
Livret du compositeur
Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Paris
direction : Christoph Eschenbach
mise en scène : Olivier Py
décors et costumes : Pierre-André Weitz
Ă©clairages : Bertrand Killy
préparation des chœurs : Patrick Marie Aubert
Avec :
Scott Mac Allister (Albrecht von Brandenburg), Matthias Goerne (Mathis), Thorsten Grümbel (Lorenz von Pommersfelden), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Wolfgang Capito), Gregory Reinhart (Riedinger), Michael Weinius (Hans Schwalb), Antoine Garcin (Truchsess von Waldburg), Éric Huchet (Sylvester von Schaumberg), Melanie Diener (Ursula), Martina Welschenbach (Regina), Nadine Weissmann (Die Gräfin von Helfenstein). | |
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