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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny de Weill dans une mise en scène de Laurent Pelly et sous la direction d’Ilan Volkov au Théâtre du Capitole, Toulouse.
Un Mahagonny light
Dans une mise en scène de Laurent Pelly, le Théâtre du Capitole propose une nouvelle production de Grandeur et Décadence de la Ville de Mahagonny allégée et ludique mais sans doute par trop dépourvue de révolte, où l’on retient en particulier la présence irradiante du ténor autrichien Nikolai Schukoff dans le rôle de Jim Mahoney.
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Situé dans la programmation du Capitole entre la Bohème et l’Homme de la Mancha, Mahagonny montre dans quel esprit Frédéric Chambert entend diriger le théâtre dont il a la responsabilité artistique depuis un peu plus d’un an maintenant. En allant du répertoire baroque (Belshazzar de Haendel) à des créations contemporaines de Pascal Dusapin, Pierre Jodlowski ou György Ligeti, cette saison 2010-2011 souffle constamment le chaud et le froid, entre domaine consensuel et prise de risque.
Si l’on en juge par son sujet, c’est plutôt à la seconde catégorie qu’appartient encore cette œuvre de Bertolt Brecht et Kurt Weill, créée en 1930 au Neues Theater de Leipzig. Et de fait, pour nombre de mordus du lyrique, il y a toujours là des éléments rebelles à une digestion trop rapide.
S’agit-il d’ailleurs d’un opéra, héritier d’une tradition ancienne, ou plutôt d’une comédie musicale, comme on en découvrait déjà à cette époque ? La question reste posée et n’appelle pas une réponse immédiate. Autant dire que toute nouvelle production peut – et doit – s’aventurer sur un territoire qui variera du tout au tout selon les éclairages qu’on voudra bien lui donner.
Laurent Pelly, toujours secondé par Agathe Mélinand, refuse, comme il le déclare dans le programme de salle, « d’enfermer l’ouvrage dans un contexte naturaliste, réaliste, trop narratif ». On reconnaît donc ici ce qui caractérise son indéniable savoir-faire, à commencer par ce dynamisme aérien, grâce auquel couleurs, rythme, refus de toute pesanteur inutile ne peuvent que séduire immédiatement un public, quel qu’il soit.
D’un tableau à l’autre, la tension ne faiblit jamais et, de surprise en surprise, avec toujours une bonne dose d’humour et – comment ne pas le dire ici ? – de distanciation, on suit avec le plus vif intérêt la création et la déconfiture de cette ville-piège créée de toutes pièces, en plein désert américain.
Il n’en reste pas moins qu’au terme du voyage, les souvenirs s’estompent assez vite, avec l’impression tenace d’être passé à côté de ce que Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny suppose par ailleurs de dénonciation et de révolte, car force est de constater que le divertissement a occupé ici tout le terrain.
Bourré de talent lorsqu’il lui faut illustrer un sujet léger (la Fille du régiment, Orphée aux Enfers ou l’Élixir d’amour ont été des réussites incontestables), Laurent Pelly a plus de mal certainement à aborder des domaines plus graves, plus déstabilisants. Mais, redisons-le, le spectacle tient remarquablement la route et répond à la fantaisie et à la vitalité que les musiques de Kurt Weill portent aussi en elles.
Bien préparé et bien dirigé par Ilan Volkov, l’Orchestre du Capitole prend un plaisir évident à s’encanailler ainsi sur des terres qui ne sont pas habituellement les siennes. Il en va de même pour les chœurs, ravis certainement d’être pris en main par un metteur en scène qui sait leur donner un relief insolite.
En tête d’une distribution équilibrée, on retient surtout le formidable Jim qu’interprète Nikolai Schukoff. Vif, solide, l’allure un peu gouape, le ténor autrichien a déjà le physique qui convient à une telle intrigue. Vocalement, il est tout aussi remarquable, prouvant à tout moment que l’on peut être à la fois un Parsifal accueilli dans les meilleurs théâtres et un interprète inspiré de Kurt Weill.
Sous les traits de Léocadia Begbick et de Fatty, quel plaisir de reconnaître Marjana Lipovsek et Chris Merritt, tous deux formidables dans ces emplois de composition qui gardent encore l’empreinte des Rossini ou des Strauss qu’ils ont fréquentés de près dans un passé pas si lointain ! À leurs côtés, Gregg Baker est un Moïse particulièrement efficace et tous les seconds rôles sont tenus de manière irréprochable.
Les réserves portent plutôt sur la Jenny Hill de Valentina Farcas. Délicieuse à voir et à entendre – même si sa voix, surtout au I, manque nettement de volume –, la soprano roumaine est loin d’avoir la présence troublante, la gouaille et le mordant que l’on attendrait chez ce personnage encore prisonnier de son incarnation par Lotte Lenya.
Mais doit-on faire référence au passé lorsqu’on retrouve une œuvre aussi actuelle que l’est toujours Mahagonny ?
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Théâtre du Capitole, Toulouse Le 23/11/2010 Pierre CADARS |
| Nouvelle production de Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny de Weill dans une mise en scène de Laurent Pelly et sous la direction d’Ilan Volkov au Théâtre du Capitole, Toulouse. | Kurt Weill (1900-1950)
Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny (1930)
Livret de Bertolt Brecht
Chœur et Orchestre national du Capitole de Toulouse
direction : Ilan Volkov
mise en scène & costumes : Laurent Pelly
décors : Barbara de Limburg
éclairages : Joël Adam
préparation des chœurs : Alfonso Caiani
Avec :
Marjana Lipovsek (Léocadia Begbick), Chris Merritt (Fatty, le fondé de pouvoir), Gregg Baker (Moïse la Trinité), Valentina Farcas (Jenny Hill), Nikolaï Schukoff (Jim Mahoney), Roger Padullés (Jack O’Brien / Tobby Higgins), Harry Peeters (Joe), Tommi Hakala (Bill), Magne Håvard Brekle (récitant). | |
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