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CRITIQUES DE CONCERTS |
26 décembre 2024 |
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Nouvelle production de l’École des femmes de Rolf Liebermann dans une mise en scène d’Éric Génovèse et sous la direction de Jurjen Hempel au Grand Théâtre de Bordeaux.
Molière en allemand
Un plaisir d’humour et d’intelligence au Grand Théâtre de Bordeaux que cette École des femmes de Molière devenue Die Schule der Frauen, mise en musique en allemand dans les années 1950 par le futur intendant de l’Opéra de Paris Rolf Liebermann, dont on fête cette année le centenaire de la naissance.
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Exit le petit chat est mort ; pas d’enfant par les oreilles : ces célèbres répliques qui firent scandale à la cour lors de la création de la pièce en 1662 ont été retirées par le librettiste de Rolf Liebermann, l’écrivain Heinrich Strobel. Il prend ses distances avec la pièce de Molière tout en la révisant à l’aune de la psychanalyse.
Le petit chat devient le petit âne est mort. Rolf Liebermann (1910-1999) et son librettiste s’amusent et font entrer dans l’action des éléments provocateurs, drolatiques et anachroniques. Ainsi le fantôme de Molière, sous le nom de Poquelin, intervient-t-il dans le spectacle, se demandant pourquoi « ces jeunes gens du XXe siècle dénaturent sa vieille comédie pour en faire un opéra » !
Il commente ses personnages, par exemple Arnolphe, qu’il traite de « grincheux » et l’invective : « Vous ĂŞtes trop vieux pour l’amour heureux ». Poquelin se rĂ©serve deux petits rĂ´les, Alain, le serviteur d’Arnolphe, et Henry, le père d’Agnès. ExcĂ©dĂ© par les interventions de Poquelin, Arnolphe s’écrie : « Au diable l’auteur !  ;»
L’esprit de dérision marque de bout en bout cet opéra qui s’autorise parfois une référence incongrue à Beaumarchais. Sans doute tout cela est-il le meilleur moyen de rendre hommage à Molière tout en gardant l’essentiel, c’est-à -dire la réflexion sur l’amour et la vieillesse.
Thierry Fouquet, directeur du Grand Théâtre de Bordeaux, a choisi de programmer cette École des femmes en hommage à Rolf Liebermann dont il fut le collaborateur à l’Opéra de Paris. Pendant toute la période de 1973 à 1980 où il administra le Palais Garnier, le réveillant de sa torpeur et faisant revenir les plus grands artistes, le musicien Rolf Liebermann, élève du chef Hermann Scherchen, s’interdit de programmer ses propres œuvres.
C’est ainsi que cette École des femmes, créée partiellement en anglais à Louisville aux États-Unis en 1955, puis reprise en allemand pour sa version définitive au festival de Salzbourg en 1957, n’avait jamais été entièrement montée en France, à l’exception d’un essai en langue française à Tours en 1973.
C’est un sociétaire du Français, habitué de Molière, qui a mis en scène à Bordeaux cet opera buffa. Éric Génovèse et son décorateur Jacques Gabel utilisent une jolie idée : une petite maison sur une tournette symbolise l’enfermement d’Agnès. Les chanteurs sont en costumes modernes sauf Poquelin, ressemblant comme un frère aux portraits de Molière, qui est en perruque et costume XVIIe.
Le baryton Paul Gay l’incarne avec entrain tandis que l’autre baryton, Andrew Greenan, est un Arnolphe aussi ronchon qu’émouvant. Le ténor Michael Smallwood est tout ardeur face à la lumineuse Agnès de Daphné Touchais. Cette équipe pimpante sous la baguette du chef Jurjen Hempel s’amuse dans la finesse d’une musique qui ne se prend pas au sérieux et évolue entre le burlesque et l’émotion.
Liebermann aimait le jazz. Il a écrit un concerto pour orchestre et jazz band mais il mettait au-dessus de tout la quintessence de l’esprit mozartien et la fluidité straussienne. Tout cela dans l’esprit du cabaret. Cette production joyeuse et raffinée devrait pouvoir être reprise dans d’autres maisons.
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