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CRITIQUES DE CONCERTS |
31 octobre 2024 |
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Concert de la Staatskapelle Dresden sous la direction de Vladimir Jurowski, avec la participation du violoniste Sergej Krylov au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
Constructions abstraites
Leçon de direction d’orchestre et d’architecture symphonique que ce concert de l’Orchestre de la Staatskapelle de Dresde au Théâtre des Champs-Élysées, où le jeune Vladimir Jurowski s’illustre dans une Quatrième Symphonie de Chostakovitch d’une cohérence formelle impressionnante, mettant largement de côté l’aspect compassionnel.
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L’année 2011 s’annonce prometteuse au niveau symphonique si l’on en juge par le concert de rentrée donné au TCE par la Staatskapelle de Dresde et l’une des valeurs les plus sûres de la génération montante, le maestro russe Vladimir Jurowski. Et pourtant, la première partie connaissait un certain handicap concernant le choix du soliste du Concerto pour violon de Tchaïkovski.
Sergej Krylov donne en effet dans la complaisance et un yo-yo rythmique hors-sujet dans cette partition qui supporte mal le rhapsodisme et les effets, ici présents par dizaines, entre arrêts sur image et chichis, jusqu’à un extravagant vibrato de pizz par le manche. Un petit son, parfois voilé, souvent aigrelet, n’arrange rien, ni le sentiment que le soliste cale, contraint d’abréger ses traits, au moment des jointures avec l’orchestre.
À l’inverse, dans le sillon de sa Symphonie Pathétique d’une rigueur janséniste et fuyant le sentimentalisme comme la peste, Jurowski réserve le meilleur de cette exécution à la partie orchestrale, scrutée, détaillée comme jamais, offrant notamment une véritable radiographie de la partie de bois.
Dans la Canzonetta, les contretemps de cor mêlés aux contre-chants de clarinette et de basson replacent cet andante au cœur de l’obsession lyrique du moment : le climat douloureux d’Eugène Onéguine. Et l’on a l’impression de sentir Lenski traîner son désespoir non loin. Saisissant.
Dans l’ensemble de l’exécution, une attention permanente est portée à la maîtrise du volume, des masses, et l’on sent à chaque instant une volonté d’éliminer toute graisse superflue, toute pesanteur superficielle pour privilégier un noyau sonore concentré.
Il en ira de même après la pause avec la Quatrième Symphonie de Chostakovitch, présentée comme une magistrale construction abstraite évitant toute surcharge. Le parti pris peut paraître étonnant concernant ce poids lourd du répertoire, manifeste douloureux et exutoire aux terribles années de purges staliniennes, convoquant un très large effectif avec les bois par quatre et même six flûtes, et un nombre non négligeable de fracassants tutti.
À l’opposé de son compatriote Semyon Bychkov, qui avait marqué les esprits dans cette même salle par sa lecture à l’impact physique terrassant, Jurowski cherche le climat par le motorisme plutôt que par la masse, par le fuyant plutôt que par l’impact frontal, mais parvient lui aussi dans un seul et puissant geste à ériger une vraie architecture s’élevant contre une réputation d’hétérogénéité formelle due notamment à de multiples citations et à une succession d’épisodes disloqués dans le Finale.
Le chef russe donne la leçon dans son rapport à l’orchestre, avec une gestique économe, d’une impitoyable mais élégante précision, toujours soucieux d’accompagner les instrumentistes, de leur simplifier la tâche dans les difficultés émaillant une partition qui n’en manque pas.
La Staatskapelle de Dresde éblouit par une sonorité moins massive que celle de nombre de formations germaniques, lorgnant toujours – et l’on s’en félicite à l’heure de la mondialisation sonore – vers la tradition de l’ancien bloc de l’Est, et combine ainsi un tapis de cordes accrocheur à des vents admirablement individualisés, d’une jouissive acuité.
Au final, dans cette Quatrième de haute volée, on pourra seulement regretter une tendance à la précipitation dans les épisodes frénétiques – le début de la fugue au milieu du I, en mal de cohésion – qui aboutit, par delà une électricité grisante, à un certain manque d’assise, de même qu’un certain refus de compassion, niant tout sentiment concret au seul profit de la construction intellectuelle.
Ainsi, la claustration terminale apparaît presque survolée, irréprochable au niveau sonore mais trop carrée, trop rapide et trop décortiquée pour restituer l’angoisse sourde de ce moment parmi les plus géniaux de l’histoire symphonique. Sans doute à l’heure actuelle la seule limite du système Jurowski.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 11/01/2011 Yannick MILLON |
| Concert de la Staatskapelle Dresden sous la direction de Vladimir Jurowski, avec la participation du violoniste Sergej Krylov au Théâtre des Champs-Élysées, Paris. | Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893)
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur op. 35
Sergej Krylov, violon
Dimitri Chostakovitch (1906-1975)
Symphonie n° 4 en ut mineur op. 43
Staatskapelle Dresden
direction : Vladimir Jurowski | |
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