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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Concert Mahler de la Philharmonie tchèque sous la direction d’Eliahu Inbal, avec la participation du baryton Thomas Hampson à la salle Pleyel, Paris.
Mahler sans atermoiement
Rare sous nos latitudes, la Philharmonie tchèque faisait une apparition salle Pleyel d’autant plus alléchante qu’au sein de l’année Mahler, la version complète de la Dixième Symphonie par Eliahu Inbal, l’un de ses plus grands spécialistes, avait le mérite de la rareté. Une soirée mahlérienne au scalpel, d’une grisante modernité.
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Les salles de concert n’aimant rien tant que les célébrations, après Chopin et dans une moindre mesure Schumann, 2011 fêtera à foison Liszt et surtout Mahler. Et alors que le compositeur autrichien est depuis longtemps déjà un pilier du répertoire, le mahlérophile européen ne sait en ce moment plus où donner de la tête, de Vienne à Amsterdam, de Paris à Berlin.
La salle Pleyel n’est pas en reste, avec pas moins d’une intégrale par Valery Gergiev et deux autres Neuvième cette saison, pour ne citer que les incontournables. Au cœur de cette frénésie, le concert de ce soir, moins blockbuster que les précités, a su retenir notre attention, la Philharmonie tchèque n’ayant jamais multiplié les apparitions en France, et son nouveau directeur Eliahu Inbal comptant aujourd’hui parmi les mahlériens accomplis – et sans doute sans concurrence dans la Dixième Symphonie complétée par Deryck Cooke –, après la controverse déclenchée dans les années 1980 par une intégrale discographique marginale.
Avouons donc tout de suite avoir compté au départ parmi les farouches opposants à ce Mahler objectif, raide comme la justice et prétendument philologique, à l’exception justement de la Dixième Symphonie complète enregistrée dans les années 1990, qui à notre surprise transformait les défauts de la décennie précédente en qualités pour cet ultime ouvrage par son modernisme, son approche analytique et coupante.
Depuis, les temps ont changé, et les lectures structurelles, intellectuelles, moins immédiatement tournées vers le sentiment, se sont multipliées chez des chefs comme Pierre Boulez, Michael Gielen et même certains Bernard Haitink, au point que le regard sur le compositeur a beaucoup changé en trente ans.
Le Mahler déromantisé d’Inbal, décortiqué jusque dans une battue qui décompose sans cesse dans les passages lents, peut toutefois encore rebuter par sa pulsation ferme, son rubato minimal et son refus de tout atermoiement – encore que les yeux fermés, le sentiment de raideur qu’inspire la gestique du chef israélien tende nettement à s’estomper –, mais en laissant parler ainsi le texte et rien que le texte, en tournant le dos à toute complaisance, ses lectures atteignent alors une forme d’épure confirmant qu’il n’est pas besoin d’en faire des tonnes pour que le langage mahlérien émeuve.
La remarque est plus valable que jamais dans l’exploration aux confins de la tonalité, poussée jusqu’à ses derniers retranchements, de la Dixième Symphonie, où pointe si souvent l’esprit des Berg et Webern à venir, jusqu’à en faire relativiser l’aspect révolutionnaire de la Seconde École de Vienne.
Ainsi, dans les dédales rythmiques de cellules répétées à l’envi, de bribes de motifs atomisés des deux scherzos, Inbal éclaire d’une lumière aveuglante, d’un geste au scalpel les incessants changements de mesure, les ruptures du discours disloqué du dernier Mahler, de même qu’il donne toute la mesure de l’étrangeté du Purgatorio et qu’il imprime à l’Adagio initial une urgence rarement entendue, où chaque pizz relance la machine d’une musique si souvent abordée de manière étale et plaintive.
Pourtant, dans le Finale, personne ne réussit aussi bien qu’Inbal l’immense glissando des violons dans la coda, véritable bouffée de sanglots que Mahler a annotée d’un « ma petite Alma ! » sur sa partition. Personne n’ose le jouer à ce point, l’étirer de manière aussi génialement outrée, rappelant le bon mot du chef à Télérama à propos des glissandi de Mahler ne devant faire « ni miaou, ni pschitt ! ».
La Philharmonie tchèque, toujours championne d’une pâte sonore jamais saturĂ©e par le poids mais seulement par l’acuitĂ© des timbres depuis Karel Ančerl et Vaclav Neumann, continue d’opĂ©rer des prodiges d’allègement, de sobriĂ©tĂ©, de nettetĂ© d’articulation dans ce rĂ©pertoire qui semble son arbre gĂ©nĂ©alogique – des cordes sur le fil du rasoir, jamais caressantes, les pincements de la clarinette, un cor solo touchĂ© par la grâce, le cinglant de la première trompette, le mordant des timbales.
On en oubliera d’autant plus vite la première partie, où Inbal scrutait dans le même kaléidoscope impitoyable les Kindertotenlieder aux côtés d’un Thomas Hampson à la dérive, cherchant son souffle, son timbre, sacrifiant la définition des voyelles à une grisaille tenant lieu d’homogénéité, et échoué dans un grave inaudible.
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Salle Pleyel, Paris Le 29/01/2011 Yannick MILLON |
| Concert Mahler de la Philharmonie tchèque sous la direction d’Eliahu Inbal, avec la participation du baryton Thomas Hampson à la salle Pleyel, Paris. | Gustav Mahler (1860-1911)
Kindertotenlieder
Thomas Hampson, baryton
Symphonie n° 10 en fa# majeur
Version achevée par Deryck Cooke
Orchestre philharmonique tchèque
direction : Eliahu Inbal | |
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