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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Reprise de Luisa Miller de Verdi dans la mise en scène de Gilbert Deflo, sous la direction de Daniel Oren à l’Opéra de Paris.
Splendeur des voix
Grâce à la qualité d’une distribution exceptionnelle et d’une remarquable direction orchestrale, la production Gilbert Deflo de Luisa Miller à la Bastille prend une nouvelle jeunesse et un nouvel essor. La beauté du chant fait oublier les inégalités dramatiques de la partition et le statisme de la mise en scène.
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En février 2008, dans le contexte d’une ère Mortier où les provocations visuelles se succédaient, l’approche très figurative au premier degré de Gilbert Deflo pour cet opéra déjà bien manichéen et un tantinet statique avait interpellé spectateurs et commentateurs.
On avait légitimement trouvé que le côté léché et très couvercle de boîtes de chocolats suisses des décors et costumes, au demeurant mignons comme tout, et que la direction d’acteurs quasi invisible ne faisaient que mettre en relief les problèmes posés par cet opéra qui n’est pas le chef-d’œuvre absolu de Verdi.
Traité de manière aussi tranchée en très méchants et très gentils, le drame romantique de Schiller perd de sa tourmente intérieure, même si Verdi y connaît plusieurs superbes moments d’inspiration lyrique.
Mais le genre opéra, quelles que soient les perversions auxquelles tant de metteurs en scène le soumettent aujourd’hui, repose avant tout sur la musique et sur la qualité du chant. Un spectacle comme celui que nous venons de voir et d’entendre arrive comme miraculeusement pour le rappeler.
À un certain niveau d’excellence, la voix sauve tout, spectacle, livret naïf ou bancal. C’est elle le premier déclencheur d’émotions et elle a toujours été capable de faire oublier tout le reste. Inutile de rappeler les représentations historiques où ni héros ni héroïnes n’avaient le tour de taille idéal, mais où nous pouvions croire à leurs amours, à leurs rêves, à leurs drames par la seule magie de leur voix.
Nicolas Joel le sait mieux que quiconque, qui a l’art des distributions quasi parfaites, où les stars donnent le meilleur d’elles-mêmes et où les découvertes nous prennent par surprise. Cette reprise de Luisa Miller, comme a déclaré vouloir le faire Nicolas Joel en arrivant à la tête de l’Opéra, et comme il l’a prouvé à maintes reprises, met le chant au premier plan, et la réussite est assez fascinante, car les physiques parfaits sont aussi au rendez-vous. Dans les mêmes décors, avec les mêmes costumes, tout prend une autre vie.
Les longueurs de la partition – Luisa et Rodolphe ont vraiment une agonie qui s’éternise, à rendre jaloux Charlotte et Werther – deviennent des moments de si beau chant que le temps n’existe plus. Krassimira Stoyanova (Luisa) allie un timbre idéal de pureté et de couleur à un art vocal accompli. Quelle ligne de chant et quelle infinité de nuances ! Un régal dès qu’on l’entend.
Marcelo Alvarez, qu’une annonce nous dit souffrant, a peut-être moins de puissance que d’habitude, mais quel timbre, lui aussi, et quelle technique pour parvenir à nuancer et à phraser aussi bien dans pareilles conditions ! On aura rarement vu un couple Luisa-Rodolphe aussi crédible, même si la direction d’acteur reste minimaliste.
Voix somptueuse aussi pour le Walter d’Orlin Anastassov qui obtient un juste triomphe. Il est bulgare comme Stoyanova. Y aurait-il un grand renouveau du chant bulgare qui nous donna des chanteurs si magnifiques, de Boris Christoff à Anna Tomowa-Sintow, en passant par Nicolaï Ghiaurov et quelques autres ?
Avec un Frank Ferrari (Miller) très en forme et le solide Lithuanien Arutjun Kotchinian (Wurm), cela donne des ensembles de voix graves exceptionnels. Bien meilleure impression faite cette fois par Maria José Montiel en Frederica, et l’on remarque la voix très pure, cristalline, musicale, de la jeune Elisa Cenni dans la brève intervention de Laura.
Les chœurs sont bien en place, et au pupitre, Daniel Oren contribue à donner toute la vie et la couleur possibles à cette musique où Verdi est à la fois si présent et pourtant souvent encore en gestation.
Bref, un triomphe de la voix et de la musique sur tous les trucs et ficelles employés par tant de metteurs en scène comme cache-misère à la fois à leur manque de connaissance de l’opéra et à la tendance si fréquente que l’on a de par le monde à sous-distribuer les rôles. Une grande bouffée d’air lyrique à l’approche du printemps !
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