|
|
CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
|
Nouvelle production d’Orlando furioso de Vivaldi dans une mise en scène de Pierre Audi et sous la direction de Jean-Christophe Spinosi au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
Magie et noirceur
Succès en concert et au disque, Orlando Furioso de Vivaldi, donné au Théâtre des Champs-Élysées en 2003, y revient plus de sept ans après dans une mise en scène de magie chic et d’une noirceur choc. Sous la baguette mûrie de Jean-Christophe Spinosi, l’ouvrage délivre plus que jamais pulsions de l’âme et sensualité des corps.
|
Théâtre des Champs-Élysées, Paris
Le 12/03/2011
Nicole DUAULT
|
|
|
|
Bons baisers d’Eltsine
RĂ©gal ramiste
L'Étrange Noël de Mrs Cendrillon
[ Tous les concerts ]
|
Loin des monstres, du dragon, des rochers de l’île enchantée de la sorcière Alcina, ce sont les ombres et les sortilèges de la légende tirée de l’Arioste que Pierre Audi a métamorphosés. Né au Liban, de nationalité anglaise et de culture française, le directeur de l’Opéra d’Amsterdam a fui la magie traditionnelle pour se réfugier dans une magie noire bien plus percutante.
Le décor est un palais vénitien de l’époque de Vivaldi. Les héros sont tous vêtus de noir. Les cieux lointains sont pourfendus d’éclats lumineux. Noir sur noir, cette tragédie vise l’essentiel : des personnages et des âmes qui se cherchent, se lassent, s’abandonnent. Devant l’uniformité des costumes, quelques spectateurs, à l’entracte, s’interrogent : qui est qui ?
Sans doute le metteur en scène, engoncé dans les certitudes d’une démonstration éblouissante, n’a-t-il pas songé à ces mélomanes avides qui, sortant de leur bureau, pour se précipiter dans Vivaldi, ne disposent pas des clés d’une compréhension immédiate ? C’est là que le bât blesse.
En outre, Pierre Audi ne renonce pas à quelques facilités comme les sièges renversés trop grands pour les acteurs : on a vu cela mille fois, signifiant que les personnages sont dépassés par les événements.
En dehors de ces complaisances à la mode, la direction des chanteurs est remarquable. Ne serait-ce qu’en faisant bouger enfin le merveilleux Jaroussky, à la voix immatérielle. Voici le contre-ténor du siècle qui vit réellement et s’impose dans une dimension presque autant charnelle que vocale.
Autre prodige que le magnifique enregistrement chez Naïve ne pouvait illustrer : la performance inouïe de Marie-Nicole Lemieux. Dire qu’elle brûle les planches est un euphémisme. Elle est fulgurante. Vocalement, on le savait. Scéniquement, dans ce rôle travesti de Roland, paladin de Charlemagne, elle s’impose dans la si longue folie d’Orlando comme l’une des grandes tragédiennes du lyrique.
Et quand les applaudissements frénétiques la saluent, elle sort de scène en esquissant quelques pas de danse et stupéfie encore par son aisance, sa malice et son intelligence. Elle est une star. Ce n’est pas si fréquent dans le lyrique.
Quant à Jean-Christophe Spinosi, ce maestro mi-corse mi-breton qui s’était révélé sur cette même scène dans cette même œuvre en 2003, alors en version de concert, il a heureusement vieilli et s’est peaufiné. Il a transformé son agitation en énergie, sa frénésie en analyse. Il est plus discret, moins fanfaron et plus explicatif avec sa formidable folie musicale qui exalte ces personnages qui se désirent, se déchirent, s’aiment, se jalousent, se trahissent.
Entre plaintes, passions et douleurs, à coups de serments et de sortilèges, ils errent sans autre but que d’assumer les pulsions de leur âme et la sensualité exacerbée de leur corps. L’existentialisme n’est pas loin. Rarement les tourments de l’homme et de la femme modernes autour d’amours contrariées ont été aussi magnifiquement sublimés, la constance et la fidélité aussi puissamment exaltées.
| | |
| | |
|