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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Falstaff de Verdi dans une mise en scène de Patrice Caurier et Moshe Leiser et sous la direction de Mark Shanahan à Angers Nantes Opéra.
La Tragédie de Falstaff
Après l’Affaire Makropoulos de Janáček et avant une reprise attendue du Château de Barbe-Bleue de BartĂłk, Angers Nantes OpĂ©ra offre Ă Patrice Caurier et Moshe Leiser une parenthèse comique avec Falstaff de Verdi. Mais derrière le rire d’une mise en scène boulevardière au premier abord, le duo fait sourdre l’impitoyable cruautĂ© d’une farce tragique.
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À la prendre au premier degré, la mise en scène de Falstaff que signent Patrice Caurier et Moshe Leiser pour Angers Nantes Opéra démarre en trombe pour mieux embrayer sur la formidable mécanique théâtrale et musicale conçue par Boito et Verdi, tel un pied de nez à la vieillesse d’un compositeur de quatre-vingts ans bourré d’autodérision.
Littérale dans sa transposition minutieuse, elle emprunte allégrement aux plus riches heures d’Au théâtre ce soir, avec quelques clins d’œil – volontaires ? – à Potiche de Barillet et Grédy, portée à l’écran par François Ozon : Ford et Alice ressemblent à s’y méprendre au couple incarné par Fabrice Luchini et Catherine Deneuve, et pas seulement grâce aux costumes alla Donald Cardwell d’Agostino Cavalca. Cela suffirait en somme, du moins dans les deux premiers actes, à faire une excellente comédie.
Mais non content d’être le plus franchement drôle qu’on ait vu, et cela sans l’ombre d’une potacherie – le rire naît de la maîtrise du rythme et du moindre détail, non d’une succession de gags –, ce Falstaff est aussi le plus sombre, en ce qu’il révèle dans la mascarade de la forêt de Windsor l’impitoyable cruauté avec laquelle les villageois s’acharnent sur le malheureux Pancione, ici rocker sur le retour dont les idéaux soixante-huitards se fracassent contre la mesquinerie petite-bourgeoise des années fric.
D’autant que le duo de metteurs en scène a trouvé en John Hancock un interprète idéal de cet être marginal, et finalement pitoyable. Car lorsqu’au sortir de la Tamise, sa gigantesque carcasse se dévêt des oripeaux de ses illusions de gloire passées, laissant échapper son abdomen proéminent – sous la forme d’une prothèse superbement réalisée par Daniel Cendron –, un palpable sentiment de gêne parcourt le public. Les joyeuses commères et leurs complices, Nannetta et Fenton compris, apparaissent dès lors sous leur jour le plus sadique, et leur petite vengeance entre amis comme un véritable lynchage public.
La distribution dans son entier forme à cet égard une véritable équipe, la plus cohérente qu’on ait vue et entendue dans cet ouvrage, et sans qu’aucune individualité y perde jamais en relief. Le Pistola de Jean Teitgen fait ainsi trembler les murs, quand Éric Huchet prête à Bardolfo la plus improbable, parfois même la plus inquiétante des trognes. Non moins percutant, et même trompétant, le docteur Caïus bigleux de Colin Judson et, formidable d’autorité féminine libérée, la Meg de Leah-Marian Jones.
Avec son immuable fume cigarette, Mrs Quickly fait immanquablement entremetteuse de soap opera, plus déclamée sans doute que chantée par une Elena Zilio plus gourmande de mots que de graves poitrinés. À force de baisers volés, minauderies et pleurnicheries, le couple d’amoureux vire absolument tête à claque, ce qui n’enlève rien au charme latin, bien qu’un peu crispé dans l’aigu, du Fenton de Luciano Botelho, et encore moins à la grâce aérienne de la Nannetta d’Amanda Forsythe.
Le Ford de Tassis Christoyannis a ceci d’exceptionnel qu’en plus de cultiver une ligne verdienne d’une élégante souplesse, il la colore de l’exacte dose d’ironie qui sied à un arroseur arrosé, livrant dans son monologue de la jalousie une leçon de théâtre chanté. Moins inattendue qu’il n’y paraît, et finalement évidente, Véronique Gens se délecte avec une pointe de maladresse non feinte des mines de bourgeoise encanaillée d’Alice. À son zénith, la voix libère ses harmoniques les plus moelleux sur un souffle enjoué, décochant des aigus mordants, sinon ductiles.
Sans rien qui ne distingue un timbre où passe subrepticement le souvenir de Tito Gobbi – mais ne serait-ce pas plutôt dans cette émission subtilement nasalisée ? –, John Hancock offre, par sa haute stature certes, qui le rend d’autant plus vulnérable, mais aussi par une verve constamment sensible, une interprétation jamais conventionnelle du rôle-titre. Un Falstaff profond, humain, et, comme condamné à la solitude par l’ambiguïté de l’éclat de rire final, tragique.
C’est aussi que Mark Shahanan dirige compacte, dense une partition dont bien des chefs, qui ne tolèrent, souvent pour de mauvaises raisons, que le dernier Verdi, ont en somme trahi le style terrien. Jamais le rythme ne faiblit, d’une preste exactitude dans les redoutables ensembles, et pourtant ménage, sans que les textures instrumentales ne s’évaporent, d’ineffables moments de grâce à l’Orchestre national des Pays de la Loire. Et soudain, « le trille envahit le monde !!! »
Prochaines représentations :
Nantes, Théâtre Graslin, les 18, 20 et 22 mars
Angers, le Quai, le 31 mars et le 3 avril
Rennes, Opéra, les 15, 17, 19 et 21 avril
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Théâtre Graslin, Nantes Le 13/03/2011 Mehdi MAHDAVI |
| Nouvelle production de Falstaff de Verdi dans une mise en scène de Patrice Caurier et Moshe Leiser et sous la direction de Mark Shanahan à Angers Nantes Opéra. | Giuseppe Verdi (1813-1901)
Falstaff, commedia lirica en trois actes (1893)
Livret d’Arrigo Boito d’après The Merry Wives of Windsor et Henry IV de Shakespeare.
Chœur d’Angers Nantes Opéra
Orchestre national des Pays de la Loire
direction : Mark Shanahan
mise en scène : Patrice Caurier et Moshe Leiser
décors : Christian Fenouillat
costumes : Agostino Cavalca
Ă©clairages : Christophe Forey
Avec :
John Hancock (Falstaff), Tassis Christoyannis (Ford), Véronique Gens (Alice Ford), Amanda Forsythe (Nannetta), Luciano Botelho (Fenton), Elena Zilio (Mrs Quickly), Leah-Marian Jones (Meg Page) ), Colin Judson (Dr Cajus), Éric Huchet (Bardolfo), Jean Teitgen (Pistola). | |
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