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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Création mondiale d’Akhmatova de Bruno Mantovani dans une mise en scène de Nicolas Joel et sous la direction de Pascal Rophé à l’Opéra de Paris.
Un opéra symphonique
Janina Baechle (Anna Akhmatova)
La création mondiale d'Akhmatova était très attendue : sujet en or, compositeur prometteur et luxe de moyens comme l'Opéra de Paris est à même d’en fournir. On retiendra l'invention de la musique de Bruno Mantovani, la sensibilité du livret et surtout une très élégante mise en scène qui font de ce spectacle une belle invitation à la musique d'aujourd'hui.
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À 36 ans, Bruno Mantovani prenait le risque d'essuyer les plâtres d'un deuxième opéra sur la scène la plus exposée de France. L'accueil chaleureux du public laisserait croire que le compositeur appartient désormais à la très sélective catégorie des créateurs travaillés en profondeur par la vocalité. Rien n'est moins sûr.
Akhmatova reprend la forme d'un grand opéra, avec une héroïne, la poétesse Anna Akhmatova, aux prises avec la censure stalinienne mais surtout avec elle-même. Le livret de Christophe Ghristi ne fait pas l'impasse sur le versant sombre de l'artiste russe, et particulièrement sur sa relation particulièrement ambigüe avec son fils Lev Goumilev, contraint au goulag par deux fois sans que sa mère ne réagisse véritablement ou ne contredise publiquement les autorités.
On a donc deux opéras en un : une grande fresque avec le souffle historique qui passe dans une Leningrad dévastée, et une tragédie plus intime où une mère prodigue des trésors d'indifférence à son fils déboussolé.
Opéra en deux parties disions-nous ; l'entracte semble même accentuer cette scission. Première partie. La musique de Mantovani surprend par sa ductilité et sa grande diversité de climats. Ici, point de flux étouffant comme dans son précédent opéra l'Autre côté créé à Strasbourg, Akhmatova souligne la maîtrise et la subtilité d'un compositeur apaisé qui parvient à enchaîner les scènes avec maestria.
Un regret et une interrogation cependant. Le très délicat équilibre voix-orchestre est remporté systématiquement par l'orchestre, et la prosodie française semble contrainte par ce même flux symphonique. Tout cela serait idoine si le livret, lui, n'achoppait pas : les scènes s'enchaînent de façon scolaire, jouant de descriptions et de grandes affirmations, laissant à penser que ce qui se joue là – l'artiste, la guerre, la poésie, tout un arsenal de grandes notions – se doit d'abord d'être expliqué avant d'être vécu.
Dans la deuxième partie, le rapport s'inverse. C'est le livret maintenant qui fait preuve de sensibilité – une foule devant un restaurant, un douloureux dialogue entre une mère et son fils – mais cette fois, c'est la musique qui se grippe. Mantovani déclenche des tonnerres orchestraux aussi séduisants que systématiques, et détail significatif, il conclut l'ouvrage par un interlude orchestral d'une bonne dizaine de minutes, condamnant Akhmatova à se tenir la tête entre les mains pendant tout ce temps.
On songe à l'Interlude en ré mineur de Wozzeck et les explications du compositeur en interview concernant cette fin ouverte sont brillantes, gageons même que cette conclusion soit la vraie distinction de l'œuvre, mais un tel flux de musique se justifiait-il quand musique et livret ont développé leurs propres logiques, sans jamais vraiment se rencontrer ?
Versant interprétation en revanche, les raisons de se réjouir sont nombreuses. Janina Baechle est une Akhamtova finement fissurée, son fils Lev devient sous la voix d'Atilla Kiss-B un écorché plein de panache, et on distinguera également la prestation troublante du contre-ténor Christophe Dumaux en représentant de l'Union des écrivains.
Akhmatova est un spectacle intelligent, sensible, relativement inoffensif. Mais animé par une musique d'orchestre qui cherche perpétuellement à se libérer de la fosse, il interroge une nouvelle fois sur la capacité des compositeurs contemporains à faire chanter avec sincérité leurs personnages.
Le public a acclamé équipe vocale et chef (un très précis Pascal Rophé à la tête d'un Orchestre de l'Opéra rutilant), mais le grand triomphateur reste finalement le metteur en scène Nicolas Joel. Aidé par les décors de Wolfgang Gussmann, noir, blanc, rouge et gris, il donne une très classieuse et épurée représentation de la guerre et de la Russie qui, elle, vous colle à la rétine.
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Opéra Bastille, Paris Le 28/03/2011 Laurent VILAREM |
| Création mondiale d’Akhmatova de Bruno Mantovani dans une mise en scène de Nicolas Joel et sous la direction de Pascal Rophé à l’Opéra de Paris. | Bruno Mantovani (*1974)
Akhmatova, opéra en trois actes (2010)
Livret de Christophe Ghristi
Chœur et Orchestre de l'Opéra National de Paris
direction : Pascal Rophé
mise en scène : Nicolas Joel
décors : Wolfgang Gussmann
costumes : Wolfgang Gussmann & Susana Mendoza
Ă©clairages : Hans Toelstede
préparation des chœurs : Patrick Marie Aubert
Avec :
Janina Baechle (Akhmatova), Atilla Kiss-B (Lev Goumilev), Lionel Peintre (Nikolaï Pounine), Varduhi Abrahamyan (Lydia Tchoukovskaïa), Valérie Condoluci (Faina Ranevskaïa), Christophe Dumaux (le représentant de l'Union des écrivains), Marie-Adeline Henry (Olga), Fabrice Dalis (un sculpteur / un universitaire anglais), Ugo Rabec (un agent). | |
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