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CRITIQUES DE CONCERTS |
22 décembre 2024 |
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Reprise de la Finta Giardiniera de Mozart dans la mise en scène de Karl-Ernst et Ursel Herrmann, sous la direction de John Nelson au Théâtre de la Monnaie, Bruxelles.
La grâce défie le temps
À l’instar de l’Opéra de Paris avec les Noces de Figaro mises en scène par Giorgio Strehler, la Monnaie de Bruxelles reprend une de ses productions historiques, la Finta Giardiniera vue par Karl-Ernst et Ursel Herrmann. Foin de la nostalgie et du devoir patrimonial, leur théâtre est plus que jamais vivant, épuré à la source de l’ambivalence mozartienne.
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À peine nommé à la tête du Théâtre de la Monnaie, Gerard Mortier déclencha sa révolution mozartienne avec pour protagonistes les fers de lance du théâtre européen – ils en sont aujourd’hui les maîtres –, Patrice Chéreau, Luc Bondy, et surtout Karl-Ernst et Ursel Herrmann, dont l’étroite collaboration avec le fidèle Sylvain Cambreling débuta en 1982 par leur mythique production de la Clémence de Titus, œuvre mal aimée qui accéda enfin au rang d’ultime chef-d’œuvre dramatique.
De semblables égards présidèrent quatre ans plus tard à la réhabilitation de la Finta Giardiniera, condamnée à être représentée dans sa version allemande avec dialogues parlés, Die Gärtnerin aus Liebe, avant que le premier acte italien ne soit retrouvé en 1978. Bien avant Idoménée, c’est-à -dire à la charnière entre jeunesse et maturité, le génie de Mozart exulte dans ce dramma giocoso qui déjoue les conventions du genre, préfigurant Così fan tutte, où elles se trouveront définitivement bouleversées.
C’est une école des amants, dont la trouble sensualité plonge des protagonistes en quête d’identité dans la folie. Un théâtre de l’absurde déjà , qui ne laissera personne indemne, malgré le lieto fine de rigueur. Karl-Ernst et Ursel Herrmann furent les premiers sans doute à considérer cette dramaturgie dans toute sa complexité, en évitant le divertissement rococo sans pour autant noircir le trait : là est la clé de l’ambivalence mozartienne.
D’autant que les années ont épuré cette production créée en costumes XVIIIe. Plus de marqueurs temporels dans ce paradis perdu et rien moins que retrouvé qu’est le jardin du Podestat de Lagonero – littéralement entouré par un lac noir sur lequel vogue une barque blanche. Mais toujours cette lumière estivale, cette touffeur presque palpable, ces bruits de la nature, et ces arbres alignés tels un labyrinthe, un échiquier des passions humaines. Jusqu’à ce que l’orage les renverse, dans l’obscurité de la folie.
L’amour mène-t-il le jeu, qui pour éviter la lassitude laisse croire parfois qu’il perd le contrôle de ses facéties ? Le personnage interprété par la comédienne Mireille Mossé – Amor hier, « … » aujourd’hui – surprend constamment, énigme dont la réponse se situerait entre une enfance, ludique, innocente, aveugle, et la connaissance des règles souvent cruelles qu’il a lui-même établies.
À cette source peut-être, l’art de Karl-Ernst et Ursel Herrmann se régénère. Ni baroque, ni classique, ni romantique, ni contemporain, il est tout cela à la fois. Subtilement érudit donc, mais toujours spontané, il défie le temps – d’ici et maintenant, aujourd’hui autant qu’hier. Parce que son esthétique et la musique de Mozart se confondent en un dialogue profond, essentiel, fécond, auquel John Nelson prend une large part.
S’il ne réinvente pas la partition, comme le faisait récemment René Jacobs au Theater an der Wien, sa direction foisonne de détails, de fantaisie, preste et vivifiante, non sans une certaine inquiétude dès lors que la bonne humeur se fissure. L’Orchestre symphonique de la Monnaie répond par un jeu âpre et cursif, rejetant un hédonisme qu’il ne pratique plus dans Mozart depuis trente ans.
Le plateau vocal ne s’en offusque pas, qui s’engage dans la même voie. La première aria di paragone du très seria Cavaliere Ramiro trouve sans doute Stella Doufexis un peu courte d’étoffe, mais sa composition fébrile émeut. Hier encore virtuose imparable, Jeffrey Francis campe un Podestat d’une lubricité allègre et finement nasillarde. Arminda inattendue, Henriette Bonde-Hansen réussit mieux des récitatifs gonflés d’emphase autosuffisante que les airs, où ses belles manières musicales, son blond frémissement reprennent le dessus.
Si le naturel absolu de la Serpetta de Katerine Knezikova, qui ne va pas sans quelques fragilités techniques, émoustille, le Nardo d’Adam Plachetka est renversant de prestance physique et vocale : c’est un Comte déjà , plutôt qu’un Figaro, un Don Giovanni surtout. D’une suprême intelligence théâtrale et musicale, Jeremy Ovenden prête à Belfiore une balourdise raffinée, et ce chant précis, cultivé qui toujours compense la relative étroitesse du timbre.
Sandrine Piau, enfin, révèle en Sandrina une expressivité épanouie, et un instrument suffisamment ductile, d’une pulpe inespérée même, pour que le trouble, la folie le tendent sans le rompre. Cette alchimie entre l’art vocal de la soprano française, l’esthétique scénique de Karl-Ernst et Ursel Herrmann et le génie de Mozart a pour nom l’état de grâce.
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Théâtre royal de la Monnaie, Bruxelles Le 25/03/2011 Gérard MANNONI |
| Reprise de la Finta Giardiniera de Mozart dans la mise en scène de Karl-Ernst et Ursel Herrmann, sous la direction de John Nelson au Théâtre de la Monnaie, Bruxelles. | Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
La Finta Giardiniera, dramma giocoso en trois actes, K. 196 (1775)
Livret de Giuseppe Petrosellini
Orchestre symphonique de la Monnaie
direction : John Nelson
mise en scène : Karl-Ernst et Ursel Herrmann
décors, costumes et éclairages : Karl-Ernst Herrmann
Avec :
Jeffrey Francis (Don Anchise), Sandrine Piau (La Marchesa Violante Onesti / Sandrina), Jeremy Ovenden (Il Contino Belfiore), Henriette Bonde-Hansen (Arminda), Stella Doufexis (Il Cavaliere Ramiro), Kateřina KněĹľĂková (Serpetta), Adam Plachetka (Roberto / Nardo), Mireille MossĂ© (…) | |
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