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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production d’Obéron de Weber dans une mise en scène de Daniele Abbado et sous la direction de Rani Calderon au Théâtre du Capitole, Toulouse.
Sur les ailes de la musique
Dernier ouvrage lyrique de Weber, créé quelques semaines avant sa mort, Obéron est une œuvre rare et difficile, dont l'inachèvement n'a par ailleurs pas facilité la postérité. La voilà magnifiée à Toulouse par la mise en scène aérienne de Daniele Abbado, la direction musicale enthousiasmante de Rani Calderon et une distribution vocale de tout premier ordre.
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Monter Obéron sur une scène lyrique française représente un sacré pari et relève presque de l’exploit. Le dernier opéra composé par Weber n’en a pas fini en effet de poser des problèmes à ceux qui, au delà d’une ouverture et d’un air (Ozean, du Ungeheuer) bien connus, se proposent de l’aborder dans son intégralité.
Quelle version choisir tout d’abord ? Celle de la création en anglais, le 12 avril 1826, au Covent Garden de Londres, ou bien celle en allemand, qui s’est imposée par la suite ? Comment ensuite faire revivre aujourd’hui ce récit passablement décousu, qui, dans un Moyen Âge de légende, nous promène depuis le Jardin des elfes jusqu’à l’Orient des Mille et une nuits, à travers les rêves des premiers romantiques ? Où dénicher enfin les interprètes qui sauront donner aux personnages de Huon de Bordeaux et de Rezia tout à la fois leur fougue et leur aura poétique ?
À toutes ces questions, le Théâtre du Capitole a su trouver les meilleures réponses. En confiant tout d’abord la direction musicale de cet ouvrage à Rani Calderon qui, l’an dernier déjà , avait présenté à la Halle aux grains une remarquable version de concert d’Euryanthe.
C’est avec le même dynamisme et la même précision qu’il aborde Obéron, retrouvant ici encore les merveilleux équilibres qui replacent l’œuvre de Weber à mi-parcours entre Mozart et Wagner. Puissance et grâce, raffinement des coloris orchestraux et grands élans lyriques se partagent ainsi cette partition, dont l’élégance constitue toujours la vertu majeure.
Réussissant eux aussi l’alliance de qualités souvent contradictoires, Klaus Florian Vogt et Ricarda Merbeth forment un couple proche de l’idéal. Avec lui, Huon exalte la vaillance du chevalier, sans rien perdre pour autant des raffinements de l’amoureux émerveillé. Belle présence scénique, fermeté des aigus, habileté des vocalises, timbre charmeur (en particulier pour la Prière du II) : que demander de plus ?
Noble d’accents, superbe d’énergie et douée d’une exceptionnelle chaleur lyrique, sa Rezia mérite, sans nul doute, ses plus ardents transports. Auprès d’eux, Arttu Kataja (Scherasmin) et Roxana Contantinescu (Fatime) sont tout aussi séduisants, elle avec sa grâce naturelle et son délicieux timbre de mezzo, lui avec autant de spontanéité juvénile que de solide assurance.
Notons également la parfaite incarnation d’Oberon – un rôle pas si facile pourtant – par le ténor d’origine turque Tansel Akzybek, ainsi que les interventions irréprochables de Silvia de La Muela (Puck) et d’Adrineh Simonian (une nymphe de la mer). Dirigés par Alfonso Caiani, les Chœurs du Capitole offrent la preuve, une fois encore, de leur haut niveau d’excellence.
Notre bonheur aurait-il été aussi complet si cette réussite musicale évidente ne s’accompagnait pas d’une mise en scène aussi inventive ? À juste raison, Daniele Abbado ne situe pas l’intrigue dans un cadre trop daté. Les costumes n’ont pas d’âge précis et assurent discrètement le lien entre l’époque du Romantisme et la nôtre.
Plutôt que de se limiter à des reconstitutions pseudo-historiques et d’avoir recours à un orientalisme de bazar, les décors se veulent extrêmement dépouillés, avec juste l’utilisation fréquente d’une passerelle descendant des cintres, sur laquelle sont le plus souvent regroupés les choristes.
Toute la dynamique, toute la variété du spectacle reposent en fait sur des projections vidéo en fond de plateau qui, en mixant images d’aujourd’hui et images intemporelles, donnent à chaque scène son ambiance particulière. Nous passons ainsi, comme en rêve, des couleurs chatoyantes du harem aux inquiétantes profondeurs sous-marines, de tableaux statiques proches de Caspar Friedrich à d’autres, presque abstraits, qui selon les nécessités du moment, jouent sur le collage d’éléments d’origine fort diverse – architectures, camions, chameaux, visages, flots impétueux.
Rien de statique pourtant mais une animation continuelle, envoûtante et magique. Accompagnant la version allemande de cet opéra, les dialogues parlés sont remplacés presque entièrement par le récit d’un narrateur (formidable Volker Muthmann) qui tire les ficelles de l’intrigue, court, bondit, danse, entre pour quelques instants dans la peau d’un nouveau personnage, traverse la scène en tous sens, entraînant le public avec lui sur les chemins tortueux de la féerie.
À son intention, Ruth Orthmann a écrit un texte d’une habileté constante qui, loin de toute relecture abusive, ajoute à ces trois actes le rythme et la distance amusée qu’appelle aussi un tel sujet. Pourquoi alors émettre deux ou trois réserves d’usage devant un spectacle aussi réussi ? Il n’est pas si fréquent de pouvoir voyager ainsi en apesanteur, l’esprit libre et le cœur léger, « sur les ailes de la musique ».
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