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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Première à l’Opéra de Lille de Macbeth de Verdi dans la mise en scène de Richard Jones, sous la direction de Roberto Rizzi Brignoli.
La hache et le tartan
L’abus de tartan est dangereux pour la tragédie. Créée au festival de Glyndebourne et reprise à l’Opéra de Lille, la mise en scène de Richard Jones prend le parti assurément décalé de rire du Macbeth de Verdi. Plus qu’une distribution déséquilibrée par une Lady en mal d’aigu, la direction électrisante de Roberto Rizzi Brignoli restitue à l’œuvre son inquiétante étrangeté.
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Faut-il que l’opéra inspiré à Verdi par Macbeth de Shakespeare amuse à ce point Richard Jones pour qu’il lui applique un second degré aussi systématique ? Et que le metteur en scène britannique ait des comptes à régler avec les Écossais pour que son scénographe et costumier Ultz se laisse aller à une telle débauche de tartan – quand bien même le port emblématique du kilt soulignerait avec pertinence que le tyran agit contre ses compatriotes ?
Anglaise jusqu’au bout de la hache – petite ou grande, et maniée avec la décontraction qui siérait à un club de golf –, la production créée au festival de Glyndebourne 2007, et reprise à Lille par Geof Dolton, use et abuse décidément d’un humour décalé, assumé jusqu’au grotesque le plus achevé. Les personnages de la tragédie sont réduits à de vulgaires pantins, tout droit sortis d’un épisode de Benny Hill. La chorégraphie du ballet – enfin donné dans son intégralité –, avec ses squelettes, momies et loups-garous pourrait être une piètre parodie du clip de Thriller de Michael Jackson. Tout en somme semble prétexte à dérision, jusqu’au choix du final précipité, clinquant de la version de 1845.
Le dernier acte cependant concentre le regard, l’esprit même sur des images fortes, quasi cliniques : l’identification des cadavres de la famille de Macduff sur un plateau nu, tendu de noir, occupé par le chœur des réfugiés écossais, puis une scène du somnambulisme scandée par le geste obsessionnel de Lady Macbeth, jetant des gants immaculés dans une machine à laver.
Peut-être le travail de Richard Jones a-t-il sur des lectures plus profondes et abouties – intensément poétiques, comme celle de Warlikowski à la Monnaie de Bruxelles, ou plus froidement psychologiques, à l’image de la mécanique du pouvoir démontée par Tcherniakov à la Bastille – l’avantage d’une lisibilité immédiate, mais il ne raconte finalement rien de plus qu’une banale histoire de sorcières et de forteresse hantée, Fantômas contre Scotland Yard bien plus que Macbeth.
Loser neurasthénique porté sur la boisson pour le metteur en scène russe à Paris, Dimitris Tiliakos incarne ici une figure non moins pitoyable, qui plus est épileptique. Dans l’acoustique plus favorable de l’Opéra de Lille, le timbre du baryton grec se colore, bien que le souffle paraisse trop court pour en cultiver l’assise sans morceler la ligne. Saturée en harmoniques aigus, l’émission brouille dès lors l’intonation, mais porte les éclats hallucinés de l’interprète à un saisissant degré de conviction.
Convaincue, la Lady de Susan Maclean ne l’est pas moins, mais trop évidemment mezzo, dramatique peut-être, mais plus encore central, avec ce que cela implique d’énergie dans la déclamation et de ténébreuses inflexions, pour ne pas achopper sur les écarts de tessiture du rôle. Atteint au prix de contorsions grimaçantes, le moindre aigu est une victoire pour la chanteuse. Et une torture pour l’auditeur. Verdi – combien de fois ne l’a-t-on cité pour justifier les pires horreurs ? – souhaitait une voix « âpre, étouffée, sombre » et même « que Lady Macbeth ne chante pas du tout ». Voulait-il qu’elle hurle pour autant ?
Belles découvertes que le Banco de Dimitry Ivashchenko, dont le bronze assez profondément slave creuse un phrasé ample, mieux, noble, et le Macduff séduisant, facile, et d’un bel élan musical de David Lomeli. Mais ce Macbeth se joue bel et bien dans la fosse, où Roberto Rizzi Brignoli avive un Orchestre national de Lille hautement inflammable, à l’instar d’un chœur superbement concerné et mis à pleine et entière contribution par la mise en scène.
De Riccardo Muti, dont il fut l’assistant sur de nombreuses productions, le chef italien possède la culture d’un son latin, bouillonnant, et l’évidente énergie dramatique. Son style verdien évoque cependant davantage l’agogique paroxystique, parfois arbitraire, souvent fulgurante, du regretté Giuseppe Sinopoli. Particulièrement exigeante pour l’orchestre, dont la réactivité est constamment mise à l’épreuve, cette direction n’en est que plus électrisante dans le feu d’une action émaillée d’inquiétantes bizarreries.
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Opéra, Lille Le 07/05/2011 Mehdi MAHDAVI |
| Première à l’Opéra de Lille de Macbeth de Verdi dans la mise en scène de Richard Jones, sous la direction de Roberto Rizzi Brignoli. | Giuseppe Verdi (1813-1901)
Macbeth, melodramma en trois actes (1847/1865)
Livret de Francesco Maria Piave d’après la tragédie de William Shakespeare
Chœur de l’Opéra de Lille
Orchestre national de Lille
direction : Roberto Rizzi Brignoli
mise en scène : Richard Jones, reprise à Lille par Geof Dolton
décors et costumes : Ultz
chorégraphie : Linda Dobell, reprise à Lille par Anjali Mehra
éclairages : Wolfgang Göbbel, repris à Lille par Paul Hastie
Avec :
Dimitris Tiliakos (Macbeth), Dimitry Ivashchenko (Banco), Susan Maclean (Lady Macbeth), Isabelle Pasturaud (Dama di Lady Macbeth), David Lomeli (Macduff), Bruno Ribeiro (Malcolm), Patrick Schramm (Medico/Domestico), Vincent Vantyghem (Un sicario), Irène Candelier (Apparizione I), Isabelle Rozier (Apparizione II), Jérôme Savelon (Apparizione III), Diego Ruiz Marmolejo (Duncan). | |
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