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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Tristan et Isolde de Wagner dans une mise en scène d’Alex Ollé et sous la direction de Kirill Petrenko à l’Opéra de Lyon.
Un Tristan lunaire
À l’heure où Paris referme son Ring par un Crépuscule qui enfonce le clou de l’absurdité, Lyon se paie un Tristan au bel esthétisme, sage et sobre, où la narration se fait par la scénographie. Un Wagner entre mer et lune, où plus qu’une distribution inégale, on retiendra la direction brûlante de Kirill Petrenko.
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On se souvient d’une Flûte enchantée intello-branchouille en matelas gonflables, mais aussi du songe façon Fantôme de l’Opéra du Château de Barbe-Bleue, vus à l’Opéra de Paris sous l’ère Mortier, ou encore du Ring high-tech de Valence, paru depuis en DVD, ingénieux dans son maniement de la régie, avec multiplication des vidéos et machinerie diabolique, à défaut de véritable intelligence théâtrale.
Initialement prévu pour le tandem explosif Jossi Wieler-Sergio Morabito, le Tristan de Lyon échu in fine au seul Alex Ollé, le plus sage du duo du collectif catalan la Fura dels Baus, est un spectacle calme, fluide, qui laissera de belles images plus que l’impression d’une expérience dramatique décisive.
Ainsi, pour un début de III très statique – mais même Patrice Chéreau peine à animer ces trois quarts d’heure d’agonie que seul Olivier Py semble avoir réussi ces dernières années – et un I à la direction d’acteurs plutôt conventionnelle, Ollé s’invente un Tristan respectueux parsemé de quelques trouvailles.
Vindicative avec son entourage, Isolde, malade au sens propre comme au figuré, soulage ses nausées par-dessus bord au lever de rideau ; Tristan, introverti et comme indolent, apparaît craintif face à cette forte et grande femme ; le Roi Marke, tout sauf statufié, nerveux, est sans cesse en mouvement comme pour s’apaiser.
Mais on se souviendra surtout de la scénographie, qui sait toujours, par des moyens contemporains, instiller le juste climat, avec pont de chalutier imperceptiblement mouvant, vidéos de ressac parfaitement intégrées et immense pleine lune descendant des cintres, laquelle devient au II l’amphithéâtre naturel du parc du château de Marke avec portes et escaliers, habilement sertie d’images tour à tour sylvestres et embrasées.
Les chanteurs investissent plutôt bien l’espace scénique mais servent la partition sans vertige. Ann Petersen ose de belles nuances et un joli timbre dans le piano, mais le dénature dès qu’elle donne la pleine voix, soit la majorité du temps, laissant au final une Isolde un peu dure, en puissance mais en défaut de plénitude.
Clifton Forbis a toujours le mâle héroïsme déchiré et déchirant qu’on connaît de son Tristan de Paris, et la projection phénoménale de son haut registre sied encore aux derniers instants du chevalier, mais l’ensemble de son incarnation frôle l’indigne, éructant péniblement une voix poussée dans la gorge et dans le nez, incapable d’émettre un son dans le médium ou la mi-voix qui ne soit pas une caricature de barrique wagnérienne usée jusqu’à la corde.
D’un impact limité par le syndrome de la voyelle vague, Stella Grigorian a pourtant le timbre clair idéal pour Brangäne, une très belle matière tout en frémissement, qui lui valent des appels irradiants. Une négligence de la déclamation toutefois sans commune mesure avec le naufrage du Jeune marin glagolitique de Viktor Antipenko, ruinant le climat de la scène d’ouverture a cappella.
Côté clé de fa, le Kurwenal mordant de Jochen Schmeckenbecher défend comme peu d’autres une narration contrastée dans sa chansonnette et un arsenal rhétorique dans la veille de son maître, tandis que le Roi Marke jeune de Christof Fischesser exploite un bel instrument, sans format colossal, mais au port élégant.
Le grand triomphe de la production reste la direction de Kirill Petrenko, d’une immédiateté saisissante, maniant avec maestria le temps wagnérien, assumant une large respiration quand nécessaire mais en guettant toujours la mesure – le prélude, aux silences pour une fois pas écourtés, quasi insoutenables – et en utilisant dans le cadre d’une lecture plutôt allégée toutes les ressources sonores pour susciter l’intérêt – mixtures de bois originales, trémolos des cordes, éclairages changeants dans le fondu chromatique de l’harmonie.
Le travail sur les cordes est d’une magnifique coulée, d’une tenue qu’on n’avait jamais connue à l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, et quelques emballements et accélérations foudroyants, très russes mais parfaitement en situation, donnent l’urgence nécessaire à ce drame de toutes les passions. On a déjà hâte d’aller écouter Petrenko dans le Ring de 2013 à Bayreuth.
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