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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Liederabend de Piotr Beczala et Christian Gerhaher accompagnés au piano par András Schiff au festival de Salzbourg 2011.
Salzbourg 2011 (1) :
Le style, la voix et le verbe
Programme intimiste avec une sonate de Schubert somme toute assez rare au concert et la version ténor et baryton du Chant de la terre accompagné au piano, avec trois solistes, chacun modèle dans sa partie. L’occasion d’un voyage intérieur mais ne trouvant pas tout à fait la cohérence du travail d’équipe nécessaire dans ce répertoire.
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András Schiff n’est manifestement venu ni pour le public ni pour les applaudissements, mais bien pour la musique. Alors, même si l’on peut préférer tempérament plus tranché ou divagations plus libres – surtout dans cette pièce d’esprit fantasque –, il aborde avec sobriété les trésors d’une Sonate en sol majeur D 894 limpide et d’intériorité sur un Bösendorfer à faire oublier tous les Steinway du monde – saluons ici Salzbourg qui échappe à la dictature du grand pianisme international au bénéfice d’une matière sonore infiniment plus charnue, plus colorée, et surtout moins brutale.
Sous les doigts consciencieux du pianiste hongrois, c’est un voyage qui s’ouvre dans des horizons imaginaires dignes du Wanderer, avec toute la palette délicate des affects schubertiens, la mélancolie toujours proche de la joie, la marche toujours proche de la danse.
L’Allegretto final en particulier est un modèle de fantaisie retenue, où l’on croit entendre un cousin pas si éloigné des Papillons de Schumann – mais plus rigoureux, peut-être une abeille ? – explorer le jardin secret de Schubert, ses motifs, ses atmosphères, passant subitement d’une espièglerie naïve à l’effusion la plus intime, avec une élégance et une retenue dans la forme tout à fait merveilleuses.
Il faut avoir aimé le Werther de Goethe pour vraiment comprendre ce qu’il y a d’ineffable dans la musique domestique de Schubert, assurément pas pensée pour le concert mais pour ses familiers, et où quotidien et universel sont intrinsèquement mêlés.
Avec le Chant de la terre, c’est une autre histoire. La version piano, que Mahler a révisée après la parution de la version orchestre, et qui à ce titre ne peut être considérée comme une simple ébauche, mérite d’être entendue comme version alternative, et permet, affirme le programme, une conception moins symphonique, davantage dans l’esprit du Lied.
Encore eût-il fallu choisir un espace adapté, et certainement pas l’immense Großes Festspielhaus ! N’importe, chacun fait preuve de ses meilleures qualités : Schiff a le style, Beczala la voix, Gerhaher le verbe. Mais on ne pourra s’empêcher de regretter un contraste trop saillant entre les chanteurs, qui contrecarre un accompagnement nocturne et épuré.
Traditionnellement, dans la ligne de Bruno Walter, on préfère la version ténor et alto de la partition, plus différenciée, plus contrastante. C’est au fond une question d’absolu : le narrateur – de l’Adieu – est masculin, et le baryton confère en réalisme ce que l’alto apporte en abstraction.
Aussi lorsque Gerhaher, interprète pas loin de l’idéal, théâtralise aux confins de la paranoïa un personnage d’ailleurs assez schubertien, il ébranle profondément l’unité d’une œuvre à laquelle Beczala n’apporte que du beau chant ; l’œuvre tend ainsi à perdre l’équilibre miraculeux trouvé par Mahler entre exaltation du « je » lyrique et universalité de la condition humaine.
Ainsi, l’alternance des mouvements avec ténor, soignés, brillants, d’une douceur de chant viennoise, mais d’une dramatisation assez lisse, avec les mouvements pour baryton, déclamés, incarnés, animés d’une signification souvent équivoque, ici scandés au sacrifice du legato, là exaltés au détriment du timbre ou du vibrato, éloigne par un effet de perspective les deux prestations du point d’équilibre central tel que l’ont atteint les plus grands interprètes de Mahler : « l’identité entre les notes et les mots », selon la formule du compositeur.
La très difficile partie de piano, qui éclaire le contrepoint discordant et les aspirations lacunaires de la partition, n’en ressort que plus difficile à défendre, en sourdine ou en éclats toujours un peu affaiblis par la disparité entre les deux conceptions vocales. Seuls les passages purement instrumentaux trouvent une forme de cohérence vraiment convaincante.
Signalons enfin notre déplaisir à voir les chanteurs souvent le nez dans la partition : peut-être que, comme pour Schubert, le cadre du concert – ici en oratorio et donc pas par cœur – n’est pas un cadeau pour la musique.
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GroĂźes Festspielhaus, Salzburg Le 06/08/2011 Thomas COUBRONNE |
| Liederabend de Piotr Beczala et Christian Gerhaher accompagnés au piano par András Schiff au festival de Salzbourg 2011. | Franz Schubert (1797-1828)
Sonate pour piano en sol majeur D 894
Gustav Mahler (1860-1911)
Das Lied von der Erde
Piotr Beczala, ténor
Christian Gerhaher, baryton
András Schiff, piano | |
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