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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Reprise du Lohengrin de Wagner mis en scène par Hans Neuenfels et sous la direction d’Andris Nelsons au festival de Bayreuth 2011.
Bayreuth 2011 (2) :
Orwell, Kafka et Ratatouille
Klaus Florian Vogt (Lohengrin) & Annette Daqch (Elsa)
Alors qu’il est en soi hautement contestable, la proximité d’un Tannhäuser délirant de bêtise fait ressortir les bons ressorts théâtraux et le professionnalisme du Lohengrin orwello-kafkaïen de Hans Neuenfels. Une production qui fonctionne par delà ses inutilités, portée par la baguette hédoniste d’Andris Nelsons et par un rôle-titre en état de grâce.
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Le trublion Hans Neuenfels aime à souligner que Lohengrin est l’ouvrage le plus ouvertement pessimiste de Wagner. Voilà sans doute pourquoi l’on rit autant dans sa mise en scène flirtant avec le Ratatouille de Disney. Les séquences à la Benny Hill où le peuple du Brabant, ici une colonie de rats appelés à connaître une métamorphose kafkaïenne, essaie d’échapper à des scientifiques chatouilleux de la seringue, déclenchent d’ailleurs des rires inédits.
On a certes tout vu dans cet opéra où le parallèle avec un certain peuple se jetant dans les bras du premier dictateur venu ne date pas d’hier ; quant à la métaphore du rat, décrit comme « un animal extrêmement intelligent, un rongeur dangereux, vorace, qui se reproduit vulgairement, et aussi drôle que dégoûtant », on en cherche encore le rapport direct avec Lohengrin.
Pourtant, Neuenfels démontre une réelle habileté à ménager les transitions entre scènes intimes et scènes de foule avec ses rats, ses vidéos et ses gags – comme cette chorale de souris roses et leur chef au parapluie –, dans un spectacle admirablement régi, à la belle et ingénieuse scénographie futuriste en noir et blanc, façon expérimentation à la Orwell – encore que le cygne du II renvoie vraiment à Canard WC –, avec une sensation de volume et des éclairages saisissants.
En outre, contrairement au délire nauséabond de Baumgarten dans Tannhäuser, les situations individuelles du livret apparaissent avec toute l’expressivité requise. Les velléités, les frustrations d’Elsa ont la force de l’évidence, de même que l’apparition du cercueil-nacelle dans le lit nuptial, ou encore la démission pure et simple – qu’ils règlent cette histoire entre eux ! – d’un roi shakespearien, veule, accompagné d’un chêne en pot décrépit.
Alors pourquoi autant de détails outranciers, comme ce cygne rôti descendant des cintres avec une auréole, et ce Gottfried en être monstrueux sorti d’un œuf de cygne, façon 2001 post-Tchernobyl, image forte gâtée par un lancer de cordon ombilical hiératique ?
Immortalisé pour le DVD et une retransmission en léger différé sur ARTE, le plateau de cette reprise n’est pas un modèle d’équilibre. L’icône glamour Annette Dasch, avant tout autre, apparaît constamment en difficulté en Elsa, au point de sembler bouleversée par l’accueil chaleureux qui lui est réservé.
Car si par bribes le timbre accroche dans de très courtes répliques, dès que la ligne wagnérienne pointe, l’émission bouge, opaque, détimbrée – le quintette final du I – consonnes et voyelles disparaissant dans la nuance piano, avec un vibrato irrégulier et une fragilité à suivre le chef qui donnent l’impression d’un tâtonnement permanent.
Aucune réserve en revanche devant le Lohengrin miraculeux de Klaus Florian Vogt, d’une radiance, d’une délicatesse, d’une tendresse mais aussi d’un aplomb et d’une densité réunis à notre sens inédits depuis Windgassen.
Jamais on n’avait entendu en direct le si périlleux Heil dir, Elsa ! du II exhalé avec une douceur aussi extatique, un timbre aussi jeune et amoureux, miracle de subtilité et de diction du texte, des nuances et une émission aussi naturelles, sans un son poussé, crié ou hors gabarit, jusque dans les plus athlétiques aigus du récit du Graal. Standing ovation et délire de battements de pieds pour le chevalier dès le premier rideau.
Moins admirable que dans la détresse de Marke ou l’élégie, le roi Heinrich de Georg Zeppenfeld affiche robustesse et noblesse sans noirceur, bien assorties à l’éloquence du Heerrufer d’un Samuel Youn qui pourrait tout autant passer la rampe en forçant moins sur le volume.
Rien à voir toutefois avec les vociférations hystériques du Telramund de Jukka Rasilainen, aux antipodes du chant vipérin, en fêlures du timbre, en hachures du souffle, de l’Ortrud au ton de désespoir d’une Petra Lang étonnante dans ces emplois de méchantes auxquelles elle confère une humanité loin des stéréotypes.
Une équipe chauffée par la baguette à l’hédonisme karajanesque d’un Andris Nelsons bien plus convaincant que l’été passé, jouant le souffle épique, le lyrisme en lame de fond, la longueur de transitions très soignées plutôt que l’impact vertical, fort d’une cohésion globale et d’un sens de l’arche qui sont déjà d’un grand chef de fosse. Et quels chœurs que ceux de Bayreuth !
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Festspielhaus, Bayreuth Le 14/08/2011 Yannick MILLON |
| Reprise du Lohengrin de Wagner mis en scène par Hans Neuenfels et sous la direction d’Andris Nelsons au festival de Bayreuth 2011. | Richard Wagner (1813-1883)
Lohengrin, opéra romantique en trois actes (1850)
Livret du compositeur
Chor und Orchester der Bayreuther Festspiele
direction : Andris Nelsons
mise en scène : Hans Neuenfels
décors et costumes : Reinhard von der Thannen
Ă©clairages : Franck Evin
vidéo : Björn Verloh
préparation des chœurs : Eberhard Friedrich
Avec :
Georg Zeppenfeld (König Heinrich), Klaus Florian Vogt (Lohengrin), Annette Dasch (Elsa von Brabant), Jukka Rasilainen (Friedrich von Telramund), Petra Lang (Ortrud), Samuel Youn (Der Heerrufer des Königs), Stefan Heibach (1. Edler), Willem Van der Heyden (2. Edler), Rainer Zaun (3. Edler), Christian Tschelebiew (4. Edler). | |
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