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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Reprise de la Clémence de Titus de Mozart mise en scène par Willy Decker, sous la direction d’Adam Fischer à l’Opéra de Paris.
La cohérence de Titus
Après la Salomé d’André Engel, l’Opéra de Paris continue à puiser dans ses anciennes productions en reprenant la Clémence de Titus dans la mise en scène de Willy Decker, d’ailleurs fortement marquée par celle des époux Herrmann, présentée sous l’ère Mortier. Le plateau féminin et la direction classique mais nerveuse d’Adam Fischer lui redonnent vie.
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Nicolas Joel ne pouvait certes pas reprendre la Clemenza di Tito des époux Herrmann, une référence pourtant, et créée voici près de trente ans, mais trop emblématique du parcours de son prédécesseur, qui la présentera d’ailleurs à Madrid en février prochain. La production de Willy Decker reprend donc du service après dix ans d’absence. De manière assurément plus pertinente que la Salomé d’André Engel.
C’est que le souvenir des Herrmann plane dès les premières scènes, tant sur l’esthétique des décors et costumes de John Macfarlane, évocation sobre, et non sans beauté, du XVIIIe siècle finissant, que sur les contours psychologiques des personnages. Parfois même jusqu’à la citation. Mais sans cette profondeur des états passionnels qui poussaient les figures antiques au bord du gouffre. D’autant que la révélation du buste de Titus, progressivement taillé dans le marbre, confine trop systématiquement les moments clé à l’avant-scène, devant une toile au barbouillage symbolique. En somme un bon travail d’épigone, sans le vertige théâtral de l’original…
À l’inverse, l’exécution musicale s’avère d’un élan, d’un impact inattendus. Distribuer Klaus Florian Vogt en Titus n’en est pas moins une fausse bonne idée. Car si le ténor allemand possède la carrure d’un Empereur, son émission haute et claire de wagnérien inclassable paraît dans Mozart nasale et raide, défauts assez rédhibitoires accentués par un italien anguleux et inexpressif. Mais Balint Szabo trouve enfin en Publio son juste emploi, qui n’est ni rossinien ni verdien – du moins pas encore.
Surtout, le plateau féminin est captivant. Amel Brahim-Djelloul reste quelque peu sous-dimensionnée, pour la salle comme pour Servilia, mais séduit par sa fraîcheur. Sombre et tendu, l’Annio d’Allyson McHardy a mieux que de l’allure. En Vitellia, Hibla Gerzmava est une révélation, ni mégère, ni matrone, pas tout à fait noble peut-être, mais animée d’une sensibilité enflammée. Et puis quel instrument ! Des aigus dardés, tranchants, presque sombres, au vibrato épicé, couronnent une pâte riche et souple, aux graves naturellement sonores.
Femme fatale chez Lully, Stéphanie d’Oustrac a pour Mozart le profil idéal du travesti. C’est d’abord l’éloquence qui frappe, cultivée dans un répertoire antérieur : chaque mot, chaque inflexion frémissent et fascinent par leur justesse. Et le timbre, au velouté si personnel, dont la chair s’est nourrie d’Armide et de Cybèle, dévoile enfin sa plus troublante androgynie. Sesto aujourd’hui, demain Idamante, comme les premiers jalons d’une conquête.
L’attention qu’Adam Fischer porte au chant n’est pas étrangère à la vie qui règne sur le plateau. Le chef hongrois goûte chaque syllabe, anime chaque phrase, ravive sans cesse le drame. Sans doute l’orchestre a-t-il été plus homogène sous d’autres baguettes – moins prégnant aussi dans ses contrastes, et en définitive compassé. Car ce Mozart certes classique dans sa conception, mais viril et sous tension jusque dans la détente élégiaque, est le plus cohérent peut-être qu’on ait entendu à l’Opéra de Paris depuis l’Idomeneo dirigé par Thomas Hengelbrock.
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