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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production du Rake’s Progress de Stravinski dans une mise en scène de David Lescot et sous la direction d’Arie van Beek à l’Opéra de Lille.
Fraîcheur et dépouillement
Après l’Opéra de Lorraine, c’est l’Opéra de Lille qui ouvre sa saison avec le chef-d’œuvre néoclassique de Stravinski, The Rake’s Progress. Une réussite pleine d’ironie et d’émotion, un conte sur l’amour pur dans la mise en scène de David Lescot qui recourt très souvent au procédé cinématographique du travelling.
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Encore une fois, The Rake’s Progress (la Carrière du libertin) fascine par sa modernité, l’impact d’une musique subtile et un livret pétri de psychanalyse qui se prête aux interprétations les plus délirantes. Depuis sa création en 1951 à Venise, l’opéra de Stravinski a connu maintes mises en scène qui, chaque fois, révèlent une fourmillante inventivité.
À Nancy, en septembre, le metteur en scène vénézuélien Carlos Wagner l’avait situé chez les traders avec un moment émouvant : Anne Trulove, telle une pietà , tenait Tom Rakewell devenu fou, sur ses genoux. À Lille, c’est dans la légèreté, l’humour, la mélancolie et le dépouillement que l’auteur dramatique David Lescot (Molière de la révélation théâtrale en 2009 pour la Commission centrale de l’enfance) a modelé sa mise en scène.
Elle est à la fois lointaine et fidèle au célèbre cycle de gravures du peintre Hogarth, datant de 1735, dont Stravinski et son librettiste, le poète anglais Auden, se sont inspirés pour peindre la dépravation d’un « rake », c’est-à -dire d’un débauché. Pour Lescot, The Rake’s progress semble un conte sur l’amour pur.
Il s’ouvre sur une toile peinte représentant la campagne anglaise avec pour seul accessoire la bicyclette de Tom Rakewell, l’indolent amoureux d’Anne Trulove. Ce couple aurait tout pour être heureux si la tentation, sous la forme diabolique d’un notaire malfaisant, ne venait entraîner le jeune et faible dilettante dans l’illusion et la perdition. Il tombe dans l’univers du jeu, de l’argent facile et de la prostitution.
Avatar de Méphisto, Nick Shadow qui est à la fois notaire et valet de Tom, le convainc d’épouser une femme à barbe qui va conduire l’insouciant paresseux à la ruine matérielle et morale. Un an et un jour après avoir connu la fortune, Tom doit rendre des comptes au diable. Il lui vend son âme et tombe dans la folie.
Un astucieux dispositif scénique avance ou recule en une sorte de travelling. Le mariage de Tom avec Baba la femme à barbe est plein de truculence ; Mother Goose se déplace en canapé à roulettes. Mais le farfelu – on ne tombe jamais dans la farce – n’est pas l’essentiel. La scène la plus percutante est celle où le valet-notaire propose à Tom de jouer sa vie aux cartes : il ôte ses gants noirs et fait paraître des mains rouge sang. C’est simple et percutant.
La distribution, de belle qualité, en majeure partie anglophone, est connue du public français. Ainsi la soprano Christiane Karg (Anne) a chanté avec les Arts Flo et également sous les baguettes de Krivine et de Christophe Rousset. Le ténor Alek Schrader (Tom) s’est produit au Grand Théâtre de Bordeaux et Christopher Purves (Nick) au festival d’Aix.
L’orchestre de Picardie, sous la direction de son nouveau patron, le Néerlandais Arie van Beek, s‘épanouit dans une musique incomparable qui pioche avec allégresse, humour et impétuosité chez Mozart, dans la comédie musicale et dans le jazz tout en restant elle même. « Dans cette musique, des parfums passent, mais la façon de les assembler est du pur Stravinski », commente le chef d’orchestre.
Quant au public de l’Opéra de Lille, lors de cette deuxième représentation, il était essentiellement composé de jeunes. La directrice de l’opéra, Caroline Sonrier, propose aux moins de 26 ans quatre spectacles de la saison pour 30 euros. C’est moins cher que le cinéma ! Et cela fait le plein. Une opération similaire existe à Nancy. Les spectateurs d’opéra renaissent en région.
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