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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de l’Italienne à Alger de Rossini dans une mise en scène de David Hermann et sous la direction de Paolo Olmi à l’Opéra national de Lorraine.
Une Italienne dans la jungle
En coproduction avec l’Opéra-Théâtral de Metz Métropole et le Théâtre national de Bratislava, l’Opéra national de Lorraine présente l’Italienne à Alger dans une mise en scène débordante de loufoquerie de David Hermann. Malgré un orchestre sans raffinement, le plateau s’en donne à cœur joie, mené par le couple invraisemblable formé par Yijie Shi et Marie-Nicole Lemieux.
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Un avion de ligne écrasé au cœur de la jungle tropicale ? Décor idéal – et plus vrai que nature – pour une pièce à sauvetage. Et qui permet au metteur en scène David Hermann de faire mouche dans la nouvelle production de l’Italienne à Alger de Rossini présentée à l’Opéra de Lorraine. Car cet ailleurs indéfinissable, sinon par des masques « empruntés aux arts premiers » vaut bien l’Orient de pacotille du livret d’Angelo Anelli, surtout en ces temps troubles où l’opposition des civilisations, par-delà leur rencontre, est à manier avec plus que des précautions.
Et puis ce qui compte dans ce sommet de l’opera buffa – Rossini n’ira jamais aussi loin dans le pur délire où la musique entraîne et défait les mots –, c’est cette « folie organisée » qu’admirait Stendhal, cette horlogerie constamment prête à exploser en plein vol – c’est bien ce qui est arrivé à cet avion pour que ses passagers se retrouvent prisonniers d’un milieu aussi hostile, gouvernés par ce Mustafà aux airs de général Tapioca.
Esprit loufoque de bande dessinée, exotisme débridé, sans arrière-pensée, cette mise en scène a ses invraisemblances – l’ouvrage le veut –, comme le décollage final d’une carcasse censément irrécupérable, mais elle fonctionne de bout en bout, tonique, débordante d’idées, frisant assez malicieusement la vulgarité pour ne pas y sombrer.
D’autant que le plateau s’en donne à cœur joie, à commencer par Marie-Nicole Lemieux. Pouvait-on s’attendre à moins de la part d’une Mrs Quickly qui plus d’une fois à fait de l’ombre à Falstaff même ? Du tempérament à revendre, et un physique qui ne passe pas inaperçu, voilà ce qu’il faut à Isabella, qui les mène tous par le bout du nez, et fait sa propre loi jusqu’au fin fond de nulle part. Avec cela la rousseur d’une Rita Hayworth aux rotondités voluptueuses. Et surtout un contralto idéalement truculent.
Car bien plus que les travestis baroques, haendéliens ou vivaldiens d’ailleurs, la vocalité rossinienne flatte un instrument au potentiel immense. Dans le haut du registre, le timbre s’épanouit naturellement, d’une sensualité diaprée, quand le grave tonne, poitriné avec une irrésistible gouaille. Les agilités coulent de source, tour à tour langoureuses et facétieuses, tandis que le cantabile témoigne d’une tenue belcantiste – malmenée ailleurs par excès d’énergie héroïque – tout bonnement renversante. Que le Théâtre des Champs-Élysées ne tarde pas à afficher le Tancredi annoncé dans le programme !
Aussi fluet que sa partenaire est plantureuse, Yijie Shi révèle un métal brillamment projeté, et qui plus est préservé des défauts de la plupart des spécialistes de ce répertoire : pas l’ombre d’un vibrato caprin, ni un soupçon de nasalité. Et des aigus glorieux, jamais déconnectés du reste de la voix. Quand bien même ce Lindoro tombé du ciel ne s’assouplirait au fil de la représentation, ce rien de raideur dans la ligne et ce léger manque de délié dans les coloratures seraient péchés véniels, tant le ténor chinois paraît dominer un sujet hautement acrobatique.
Si Mustafà ne navigue pas sur les mêmes cimes, c’est que la basse de Donato Di Stefano manque de brio et d’éclat – à ses côtés, le Taddeo de Nigel Smith ne manque ni de l’un, et encore moins de l’autre –, mais l’Italien connaît parfaitement son métier, au point d’en dévoiler parfois les ficelles. Baryton insolent, Igor Gnidii sait se faire remarquer en Haly, et l’Elvira de Yuree Jang domine les ensembles d’un rayon de lumière charnue.
La fosse dès lors dépare, où l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy semble rien moins que ravi de jouer sous la baguette de son ex-directeur musical, à en croire un fini instrumental bâclé. Paolo Olmi a d’ailleurs beau brandir l’édition critique, il conduit son Rossini comme dans les années 1950 : le bolide file droit, sans se préoccuper du paysage, ni ralentir dans les virages. Mais qu’importe après tout, puisque le moteur ne s’enraye pas et que le rythme ne mollit pas.
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