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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Version de concert de Tristan et Isolde de Wagner sous la direction d’Andris Nelsons au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
Tristan en pleine tempĂŞte
Deux jours à peine après le Parsifal de Daniele Gatti, c’est au tour de Tristan d’être donné en version de concert au TCE, cette fois avec l’Orchestre de Birmingham et le chef qui monte Andris Nelsons. Soirée passionnante portée par une battue incandescente, et où un Stephen Gould revenu à son plus haut niveau délivre un Tristan d’anthologie.
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Les commentaires allaient bon train au premier entracte de ce Tristan en version de concert littéralement empoigné par un Andris Nelsons déchaîné. On savait le jeune chef letton en pleine ascension, comme en témoigne sa présence dans la fosse de Bayreuth où il dirige depuis deux ans Lohengrin avec un succès phénoménal.
Pour autant, on n’imaginait pas une seconde qu’il puisse réserver à Tristan pareil traitement de choc. Passé un prélude plutôt lent où il cultive peut-être le plus beau legato depuis Karajan, mais où il fait déjà sentir une imprévisibilité totale dans les variations de tempo, le maestro sidère par sa folle énergie, sa volonté d’en découdre, d’ouvrir un brasier où puissent se consumer les amants impossibles.
La traversée du navire vers la côte de Cornouailles affrontera ainsi une mer démontée, où la pleine tempête psychologique guette en permanence, derrière une farouche détermination à relancer chaque changement de tempo.
Engagé archets et anches, l’Orchestre de Birmingham aurait tendance à tirer la couverture à soi et à emplir sans vergogne l’espace du Théâtre des Champs-Élysées, faisant parfois fi de voix féminines affrontant les vagues sonores avec moins d’aisance que des hommes nettement plus puissants. Il est jusqu’au chœur accentus, aux ténors égosillés, de paraître déstabilisé par cette battue hors normes.
On ne peut d’ailleurs que s’étonner de la durée très classique d’un I qu’on n’avait pourtant jamais entendu aussi propulsé sur les récifs, phénomène s’expliquant par des contrastes extrêmes entre vélocité des passages dramatiques et retenue des phases de repli. Après un II tout aussi exalté mais au fond moins inédit, le III accompagnera l’agonie de Tristan avec d’extraordinaires saillies de violence et de révolte alternant avec la dépression profonde de cordes graves semblant creuser sous l’écorce terrestre de Karéol.
À maintes reprises, on aura toutefois préféré fermer les yeux plutôt que de regarder ce chef donnant certes des départs à la Mariss Jansons, mais n’ayant au fond guère de tenue, dirigeant assis, jambes écartées, souvent vautré sur l’orchestre et imprécis de battue, entraînant même au III quelques belles frayeurs et faux départs qu’on préfère oublier.
Sans atteindre au même niveau de passion exacerbée, la distribution se glisse habilement dans cette approche radicale. Lorsqu’on parvient à l’entendre, la Brangäne hululante de Christianne Stotijn, seule paille du plateau, vibre serré de toutes ses fibres et dispense de bien vilains appels. Dans un premier temps, la basse très tubée de Matthew Best fait ici plutôt meilleure impression qu’à Lucerne, mais les dernières interventions de son roi Marke constatant l’ampleur des dégâts s’avèrent aux limites de l’étranglement.
En revanche, le Kurwenal de Brett Polegato ne souffre aucune réserve, affrontant crânement les déflagrations et coups de boutoir du chef sans jamais se départir d’une émission bien placée. Même constat pour le Jeune marin et le Berger de Ben Johnson, aux belles inflexions et au matériau presque trop somptueux.
Lioba Braun, qui se cantonne à une seule et même couleur enveloppée trahissant son passé de mezzo – la voix sonne souvent plus sombre que celle de Brangäne –, offre une Isolde parfaitement homogène, bien chantante, aux aigus en place sinon phénoménaux, sans les disgrâces vocales souvent de mise à notre époque.
Mais ce plateau restera avant tout emblématique du retour de Stephen Gould à son meilleur. Le ténor si éblouissant des Tannhäuser de Paris et Bayreuth n’avait ces derniers mois cessé d’enchaîner faux pas et prestations décevantes. Sans s’être tout à fait débarrassé d’une certaine raideur d’émission, il a su retrouver une présence vocale ahurissante.
Surtout, ce Tristan sait jouer des fêlures de son timbre, d’un allègement de la matière assez stupéfiant – cet appel à Isolde, extatique, murmuré avec une voix d’adolescent juste après l’absorption du philtre, répété au moment d’expirer. Et alors que le II laissait craindre une certaine fatigue – intonation basse dans le médium –, il tient jusqu’au bout sans faiblir, trouvant encore l’énergie, entre deux phrases assassines, de moduler la ligne pour mieux repartir à l’assaut des terribles aigus d’un rôle inchantable entre tous.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 11/03/2012 Yannick MILLON |
| Version de concert de Tristan et Isolde de Wagner sous la direction d’Andris Nelsons au Théâtre des Champs-Élysées, Paris. | Richard Wagner (1813-1883)
Tristan und Isolde, opéra en trois actes (1865)
Livret du compositeur d’après Gottfried von Straßburg
Stephen Gould (Tristan)
Lioba Braun (Isolde)
Matthew Best (König Marke)
Christianne Stotijn (Brangäne)
Brett Polegato (Kurwenal)
Benedict Nelson (Melot / Steuermann)
Ben Johnson (Ein Juger Seeman / Ein Hirt)
accentus
préparation : Pieter-Jelle de Boer
Birmingham Symphony Orchestra
direction : Andris Nelsons | |
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