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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production d’Orlando de Haendel dans une mise en scène de Pierre Audi et sous la direction de René Jacobs au Théâtre de la Monnaie, Bruxelles.
Orlando s’enflamme
Dans la mise en scène de Pierre Audi, Orlando, le paladin rendu fou par amour, prend les traits d’un pompier pyromane. Sa flamme serait bien anecdotique pourtant si René Jacobs ne l’attisait dans la fosse en restituant à la partition de Haendel son unité tragique. Entouré d’une distribution proche de l’idéal, Bejun Mehta livre une incarnation définitive du rôle-titre.
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Théâtre royal de la Monnaie, Bruxelles
Le 28/04/2012
Mehdi MAHDAVI
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Il furioso Orlando ha distrutto il mio albergo (Orlando dans sa fureur a détruit ma maison) : de cette réplique presque anecdotique de Dorinda au troisième acte d’Orlando de Haendel, Pierre Audi a fait le point de départ et le fil conducteur de sa mise en scène – et de la maison de la bergère, calcinée, cauchemardesque, et enfin reconstruite, le centre du sombre huis clos contemporain conçu par Christof Hetzer.
La trame narrative qui en découle, et qui prétend conférer un minimum d’action à un livret qui n’en comporte guère, ne force en rien la fable. Et a le mérite de cerner les caractères avec bien plus de clarté, sinon de force, que dans l’Orlando furioso de Vivaldi monté par le même Pierre Audi au Théâtre des Champs-Élysées, où les personnages se confondaient dans la pénombre.
Reste que cette esthétique minimaliste, non exempte d’inquiétante poésie au II, et ponctuée de vidéos dont la forme autant que le fond ne peuvent pas ne pas rappeler les images de Bill Viola pour Tristan et Isolde, confirme la difficulté du directeur du Nederlandse Opera d’Amsterdam à développer un langage personnel. À l’instar de son élément déclencheur, l’histoire de ce pompier pyromane ne s’élève que rarement au-dessus de l’anecdote. Et demeure constamment en deçà de l’intensité dramatique de l’interprétation musicale.
C’est que René Jacobs réinvente littéralement la partition. À moins que, réussissant là où tous les autres ont échoué avant lui, il n’en restitue l’unité tragique, et la profondeur philosophique, sinon mystique. Car d’Orlando, premier volet de la trilogie inspirée de l’Arioste systématiquement cité parmi les chefs-d’œuvre lyriques du caro Sassone au même titre qu’Ariodante et Alcina, les – rares – enregistrements ne renvoient qu’un pâle reflet, succession d’airs aux teintes pastel, soudain bousculée par une scène de folie dont les innovations ne peuvent qu’engendrer les pires excès expressionnistes dans un contexte pastoral guetté par la mièvrerie.
Rien de tel ici. Et d’abord parce que Jacobs prend délibérément partie. Pour le rôle-titre, bien sûr, et surtout pour Dorinda, victimes de l’amour d’Angelica pour Medoro, qui n’en paraît dès lors que plus capricieux et cruel. Par là même, il donne chair à la reine de Cathay, sinon à son souffreteux amant, qui souvent s’enlise dans une placidité raffinée. Cela produit en somme une dramaturgie – tout entière contenue dans le texte et la musique – bien plus prégnante que celle qui se joue sur scène.
Et sa mise en œuvre est proprement stupéfiante, par cette manière qu’à René Jacobs de ne rien laisser au hasard, et de créer pourtant l’illusion permanente de la surprise et de la spontanéité. Art suprêmement baroque, donc, que celui du chef belge, qui trouve dans la réactivité, la vigueur, virtuosité, les pointes de verdeur même de l’ensemble B’Rock, qu’il dirige pour la première fois, son plein épanouissement.
Fidèles de Jacobs, les chanteurs ont parfaitement assimilé sa rhétorique vocale et musicale exigeante, et du même coup frisent l’idéal. Au Zoroastro de Konstantin Wolff manque certes le creux, l’étendue, l’agilité et l’expérience que requiert ce rôle d’une ampleur inédite composé pour les moyens phénoménaux de la basse Antonio Montagnana – mais l’orchestre pallie ses insuffisances avec un panache infini. Dans l’ineffable Verdi allori du terne Medoro, Kristina Hammarström déroule le tendre murmure d’un mezzo sombre au souffle pur.
La technique, le talent singulier de Celeste Gismondi lui permettaient semble-t-il bien plus que les emplois comiques auxquels la destinait sa naissance. Et Dorinda est bel et bien un mezzo carattere, qui n’est pas loin de rivaliser avec la prima donna. Sunhae Im y est irrésistible de piquant, de volubilité quasi adolescente, d’innocence déçue, et de larmes délicates, ductiles, dans Quando spieghi i tuoi tormenti.
La frémissante limpidité dont le tropisme mozartien de Sophie Karthäuser pare Angelica se double d’un sens psychologique aigu soutenu par un instinct supérieur de la rhétorique baroque. Le personnage apparaît dès lors dans toute sa duplicité, par un jeu de tension et détente de la ligne vocale qui culmine dans un Finché prendi ancora il sangue d’une nudité ombrée.
À ce degré d’implacable agilité et de sombre égalité sur toute l’étendue du registre, Bejun Mehta n’a ni rivaux, ni rivales possibles dans l’héroïsme cuivré du rôle-titre. Ce qui frappe d’abord, pourtant, c’est l’hypersensibilité du contre-ténor américain, dont la moindre inflexion nourrit un phrasé d’une variété funambulesque, entre fureur et désolation. Car au-delà des mots, des notes, Orlando, c’est lui !
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