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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Reprise de Così fan tutte de Mozart dans la mise en scène d’Éric Génovèse, sous la direction de Jérémie Rhorer au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
Un Così de chef
Deuxième volet du cycle Mozart du Cercle de l’Harmonie, lancé la saison dernière avec Idomeneo, et pour lequel le Théâtre des Champs-Élysées reprend le Così fan tutte gentiment mis en scène en 2008 par Éric Génovèse. Mais il suffit que Jérémie Rhorer succède à Jean-Christophe Spinosi pour que l’intérêt de cette production se concentre sur la fosse.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris
Le 24/05/2012
Mehdi MAHDAVI
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De la mise en scène d’Éric Génovèse, créée en novembre 2008, on gardait un assez bon souvenir. Parce que fuyant la baguette désordonnée et narcissique du Maestro Spinosi, il fallait bien se raccrocher à quelque chose. Malgré la grisaille ambiante – la toile de fond peinte à l’eau de vaisselle, les décors bâclés –, la direction d’acteurs, peu recherchée sans doute, et encore moins réfléchie, animait le plateau non sans finesse.
Cette reprise n’en révèle cependant que les défauts. Ces dames de Ferrare n’ont jamais paru aussi gourdes, et les Albanais caricaturaux. Leur badinage s’en trouve plus que forcé. Et les changements à vue, qui ponctuaient une jolie alternance entre intérieur et extérieur, ont perdu en efficacité. Quant à l’hommage aux machinistes en tricorne de Giorgio Strehler, serait-il devenu inévitable ? Cela n’explique certes pas pourquoi ce travail honnête, sans prétention, nous trouve aujourd’hui dans des dispositions aussi contraires.
Parce que Jérémie Rhorer dirige, et que cela change tout. En septembre 2009, le jeune chef français avait livré de Così fan tutte une lecture miraculeuse d’équilibre, d’attention, et de texture. Une fois constaté que la fosse du Théâtre des Champs-Élysées diminue décidément l’impact du Cercle de l’Harmonie – c’était déjà le cas dans Idomeneo la saison passée – et que dans l’ouverture, les vents se courent après, il faut se rendre à l’évidence d’une maîtrise encore affinée. Qu’importe la scène dès lors, puisque la moindre variation psychologique est dans l’orchestre – dans le pianoforte de Paolo Zanzu aussi, qui n’a pas moins de délicatesses.
L’alliage entre élan, jamais pris en défaut – ce naturel, cette fluidité des phrasés –, et l’infinie subtilité des intentions est aujourd’hui unique, dans les airs comme dans les ensembles, débordants d’une vie illuminée ou soudain assombrie par les éclairages constamment changeants de ce geste prodigieux. Et qui ne pourrait être plus limpide. Il n’empêche que le plateau souvent décale – les deuxièmes représentations sont, à cet égard, souvent impitoyables, et celles de Così plus encore, dont la mécanique, qui est celle des cœurs, ne souffre pas la moindre approximation.
Sur le strict plan vocal, le compte n’y est pas tout à fait non plus – alors que plus que des individualités, il faut ici une équipe. Distribuer Camilla Tilling en Fiordiligi, c’était faire le pari de la légèreté – et la soprano suédoise nous a paru trop légère dans à peu près tout ce dans quoi nous l’avons entendue. Non qu’il faille, pour affronter les redoutables écarts du rôle, une Amelia du Bal masqué ou une Lady Macbeth.
Simplement peut-être des extrêmes plus colorés, sinon plus nourris, et qui ne vident pas de sa substance un médium séduisant mais gracile. Car la sensibilité frémissante de la musicienne, les facilités même de la technicienne – et pour la première fois, nous nous sommes surpris à ne pas compter les triolets de Come scoglio – ne peuvent donner le change que jusqu’à un certain point.
Et puis il faut pouvoir lutter, dans le duo Fra gli amplessi, contre les assauts de Bernard Richter, qui en Ferrando pèche par excès inverse. Celui qui, dans Atys, a mis Paris à ses pieds, se heurte durement à la vocalité mozartienne – en Don Ottavio à la Bastille déjà … Puisqu’il ne peut soutenir, alléger la ligne, il claironne, pour ainsi dire de bout en bout. Le timbre à force perd tout son éclat. Décidément, ce chant manque non seulement d’élégance, mais surtout d’intelligence.
Présumé bon acteur – mais que fait le metteur en scène ? –, le Guglielmo si peu vocal de Markus Werba n’a plus qu’à disparaître, qui pourtant sait ce qu’il raconte, et jamais ne charge. Il est vrai, aussi que dans Il core vi dono, Dorabella le domine de la pulpe superbement épanouie – et si artistement contenue quand il le faut – de Michèle Losier.
Seul rescapé de la production de 2008, et malgré une usure sensiblement plus perceptible, Pietro Spagnoli paraît infiniment plus concerné, et a, sur l’ensemble du plateau, l’avantage de l’idiome, ce qui pour Don Alfonso – et plus généralement tout ce que Mozart a écrit sur les mots de Da Ponte – est inestimable.
Seule rescapée du concert de 2009, et malgré quelques inégalités dans la projection des mots comme de la voix, Claire Debono régale de ce timbre épicé qui est exactement celui de Despina – car la camériste n’est pas une colorature pépiante, et encore moins une mezzo sur le retour –, et d’un abattage scénique toujours étourdissant. Lorsqu’elle paraît, on ne voit plus qu’elle !
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