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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production du Chevalier à la rose de Strauss dans une mise en scène de Mariame Clément et sous la direction de Marko Letonja à l’Opéra du Rhin.
Une mascarade viennoise
Un Chevalier à la rose de tréteaux et de masques, délesté du poids du décorum ? Mariame Clément réussirait totalement son pari si sa Maréchale ne se révélait aussi extérieure, figée comme par défiance dans une posture intouchable. Diseuse distinguée, Melanie Diener y surclasse un plateau auquel la baguette de Marko Letonja confère l’illusion de l’homogénéité.
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Face au Chevalier à la rose, Mariame Clément a éprouvé une forme de défiance. Parce que monument, donc présumé intouchable. Et sa mise en scène en porte la marque, qui découle d’une question simple, du moins en apparence : comment parvenir au cœur de l’œuvre, en décortiquer le noyau, sans en dénaturer la chair – l’esprit ou la lettre, qu’importe ? En retirant le superflu, rendu indispensable par la tradition, pour ne garder que le nécessaire. Au risque d’être taxé de réduire la pièce à sa trame. Mais le théâtre ne vaut bien qu’on le prenne !
Alors donc, voici le Chevalier à la rose débarrassé de ses stucs, bibelots, et autres armées de laquais – une demi-douzaine suffit. Foin du décorum, le théâtre mis à nu : tréteaux et rideaux blancs, animés soudain de perspectives, d’un rien d’asymétrie, toujours par petites touches, costumes d’époque, ou supposés tels, sans ostentation. Quelques masques et lazzi de Commedia dell’arte, Mohammed en Arlequin, et le tour serait joué ? Trop simple, bien sûr. Mariame Clément est trop intelligente d’ailleurs pour s’en tenir là – quand bien même elle n’atteindrait pas la pertinence de ses précédentes mises en scène.
Admirable est la gestion de l’espace, sa réduction, qui font la chambre de la Maréchale à peine plus grande qu’une alcôve, le lit même dans la première scène, où se bousculent ses fournisseurs et autres orphelines – on aurait aimé qu’elle ne craigne pas de les entasser davantage, qu’ils se marchent dessus, et sur les pieds du chanteur italien : comment expliquer autrement que sa romance monte si haut ?
Et puis du tact, de la finesse, dans tous les mouvements de ces dames, ce regard attendri toujours, et notamment sur Sophie, qui déjoue les apparences. Comme c’est exquis, léger, ce que Strauss et son librettiste désiraient en somme – ou du moins n’arrêtaient-ils pas de se l’écrire.
Mais revenons au commencement, à cette défiance qu’a éprouvé Mariame Clément. Ce n’est pas d’Ochs qu’elle s’est méfiée – inutile pour qui est incapable de surcharge –, mais bien plutôt de la Maréchale, la « mystérieuse, magique Maréchale », comme la qualifie André Tubeuf dans le programme, et pour cette raison même.
La metteur en scène a beau dire qu’Ochs est le personnage principal – parce qu’il est le dindon de la farce, de cette mascarade viennoise qu’on lui joue –, elle n’est pas dupe. Pourquoi sinon le spectacle s’ouvrirait et se refermerait-il sur cette alte Marschallin que Marie-Thérèse, die kleine Resi hier encore, a cru apercevoir dans son miroir. Et c’est sous ces traits qu’il la fige, telle une statue de cire, monument, donc intouchable, trop extérieure en tout cas à ce Rosenkavalier.
D’autant que Melanie Diener domine le trio féminin, d’une bonne tête, et surtout de la voix, ou mieux, de la qualité du chant. Car si le timbre se révèle un peu sec en sa maturité, à l’instar de l’aigu, filé quand il faut mais sans plus d’épanouissement, son art raffiné de la conversation en musique – netteté de l’articulation, subtiles variations des intentions, l’inverse d’une Fleming en somme – signe une Maréchale d’une distinction lointaine – qui n’est pas hautaine –, jamais appesantie par des poses pseudo-philosophiques.
La jeunesse diaprée, l’élan, les soubresauts du cœur d’artichaut, Michaela Selinger pourrait être un parfait Octavian si l’aigu n’était si court, douloureux même dans le duo final. C’est Daniela Fally pourtant qui achève de le déparer, Sophie pointue, acide, contrainte lorsqu’elle devrait flotter – une présentation de la rose hérissée d’épines.
Wolfgang Bankl est un bon Ochs, guère plus, par manque de creux, de substance, sinon de gras, et dont le physique ne s’accorde pas tout à fait, peut-être, au vieux beau désinvolte, mais séduisant encore, que lui fait jouer Mariame Clément. Quant à la myriade de comprimarii, elle serait assez ordinaire si ne s’y distinguaient les Italiens – le Valzacchi à la pointe sèche d’Enrico Casari, et surtout l’Annina opulente, déchaînée d’Hilke Andersen.
Marko Letonja réalise dès lors deux tours de force, faire croire à l’homogénéité du plateau, et surtout de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, sans transparence ni moirure, mais bien mieux tenu qu’il ne l’a souvent été dans la fosse de l’Opéra du Rhin. Pour ses débuts dans l’ouvrage, le chef slovène trouve d’emblée la souplesse du ton et la pulsation juste, dans un équilibre idéal avec la scène. Un Rosenkavalier de chambre ? Non, bien mieux, de théâtre.
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Opéra du Rhin, Strasbourg Le 25/06/2012 Mehdi MAHDAVI |
| Nouvelle production du Chevalier à la rose de Strauss dans une mise en scène de Mariame Clément et sous la direction de Marko Letonja à l’Opéra du Rhin. | Richard Strauss (1864-1949)
Der Rosenkavalier, comédie pour musique en trois actes (1911)
Livret de Hugo von Hofmannsthal
Maîtrise et Chœurs de l’Opéra national du Rhin
Orchestre philharmonique de Strasbourg
direction : Marko Letonja
mise en scène : Mariame Clément
décors et costumes : Julia Hansen
éclairages : Philippe Berthomé
chorégraphie : Mathieu Guilhaumon
Avec :
Melanie Diener (la Maréchale), Wolfgang Bankl (le Baron Ochs), Michaela Selinger (Octavian), Werner Van Mechelen (Faninal), Daniela Fally (Sophie), Sophie Angebault (Marianne Leitmetzerin), Enrico Casari (Valzacchi), Hilke Andersen (Annina), Stefan Pop (un chanteur italien), Dimitri Pkhaladze (un comissaire de police), Mark Van Arsdale (le majordome de la Maréchale), John Pumphrey (le majordome de Faninal), Yuriy Tsiple (un notaire), Roger Padullés (un aubergiste), Tatiana Anlauf (une modiste), Marie-Sophie de Barmon, Isaure Cassone, Émilie Clarke-Gehan, Adeline Rahms, Zoé Rémy, Justine Tryoen (trois nobles orphelines), Mario Montalbano (un dresseur d'animaux), Laurent Roos, Christian Lorentz, Jean-Philippe Empatz, Fabien Gaschy (les quatre laquais de la Maréchale), Michel Lecomte, Dominic Burns, Jens Kiertzner, Yves Ernst (quatre serveurs), Mathieu Guilhaumon (Arlequin). | |
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