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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Lady Macbeth de Chostakovitch par le théâtre Hélikon au festival de Radio-France et de Montpellier
Un opéra anti-mafia
Théâtre iconoclaste situé juste en face du Bolchoï de Moscou, l'Hélikon se caractérise par la hardiesse parfois outrancière de ses productions. Avec Lady Macbeth de Chostakovitch donné en juillet dernier à Montpellier, il n'a pas failli à sa réputation.
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Festival de Radio France et Montpellier, Opéra Berlioz Le Corum,
Le 27/07/2000
Olivier BERNAGER
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Après le demi-échec du concert rassemblant Madalenna de Prokofiev et Mavra de Stravinski, on attendait Dmitri Bertmann dans Lady Macbeth de Mzensk, opéra qui marque un tournant dans l'oeuvre de Chostakovitch. Composé en 1930-1932, trois ans après son opéra-bouffe Le nez d'après Gogol, interdit au nom du réalisme socialiste en 1936, revu en 1962, Lady Macbeth a supporté le poids de l'incompréhension des autorités soviétiques avant de devenir l'oeuvre lyrique la plus jouée du compositeur.
Un choeur, un orchestre, des techniciens, une troupe de chanteurs qui se produisent sur la scène d'un superbe palais moscovite, voici le Théâtre Hélicon de Moscou. Il y a dix ans, son directeur Dmitri Bertman a fondé cette compagnie avec quelques copains, des bouts de ficelles et beaucoup d'imagination. Aujourd'hui largement subventionnée, elle emploie quatre cents personnes. Véritable scène alternative dans la capitale, le Théâtre Hélicon a signé plus de cent spectacles, dont cinq seulement sont connus en dehors des frontières de Russie : Carmen, Madalena-Mavra (le spectacle fétiche, la première aventure de la troupe), Les contes d'Hoffmann, La dame de Pique et Lady Macbeth. Ses productions vont du grand opéra jusqu'à la revue de music-hall, en passant par l'opéra de chambre et le " happening ".
Dimitri Bertman poursuit dans tous ses spectacles une observation sans complaisance de la société actuelle. Le sujet de Lady Macbeth de Mzensk tombait donc à point pour montrer la société mafieuse qui sévit actuellement en Russie, s'offrant le luxe d'une réponse subtile à la mafia de la pensée qui, dans les années trente-cinq mirent à l'index cette oeuvre outrancière, noire et d'une maîtrise musicale digne du Wozzeck d'Alban Berg. Les deux oeuvres d'ailleurs ont tiré leur substance d'un fait divers, les deux sont écrites dans un langage d'une sophistication exemplaire, les deux enfin explorent les capacités musicales de la représentation scénique.
Bertman signe donc là une mise en scène qui épingle la réalité russe de l'après Perestroïka. Pour ce faire, il déplace le lieu de l'action. La ténébreuse Lady Macbeth, dans le livret écrit d'après une nouvelle de Nicolaï Leskov, promenait son bovarysme vénéneux dans le cadre rural d'une petite ville de province, Bertman l'installe dans un parking en sous-sol, avec ses cages de sécurité pour limousines de la nomenklatura, ses ventilateurs sortis d'un polar de Jean-Jacques Beneix, et ses corridors grillagés, dans l'entrebâillement desquels plusieurs scènes de luxure se succèdent. L'enjeu sexuel de ce drame de sous-préfecture dont Claude Chabrol aurait pu faire ses délices, est clairement signifié au-devant de la scène par un fauteuil rouge vermillon très années soixante évoquant la corolle d'un sexe féminin. Le reste, constitué de grillages parle de l'enfermement de l'individu dans ses fantasmes en même temps qu'il permet de faire ressortir la réalité souterraine du monde urbain moscovite.
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Ce décor accompagné d'un parti pris d'obscénité dans les postures des chanteurs, de caricature de revue de music-hall dans certains mouvements d'ensemble, et globalement d'une évidente volonté de choquer le bourgeois, offre à la musique déjà distancée et grinçante de Chostakovitch, un grossissement surdimensionné qui ne parvient cependant pas à l'étouffer. Par exemple, la spectaculaire scène de flagellation au cinquième tableau, traitée comme le rappel de Metropolis de Fritz Lang où des ouvriers fondeurs, vêtus de cuir, martèlent le sol de leurs ceintures avant de strier le dos de l'infortuné Sergueï, met en branle un tourbillon musical et scénique que seule l'orchestration sauve de la vulgarité. Remplacez Chostakovitch par de la techno, cette scène serait une rave sado-maso. Mais c'est par ce genre d'outrance que le théâtre de Bertman est intéressant car sa vulgarité parle de nous. Lorsque la musique de Chostakovitch s'éloigne volontairement de la représentation scénique, dans cette distance s'immisce le regard de Bertman. Là , il est le plus fort. Là , il sèche la gaudriole d'un Jérôme Savary, parce que son dard est plus pointu, que son art est moins graisseux, et que peut-être son exotisme en dehors de ses frontières est encore plus éloquent. Les quatre principaux rôles chantés de cette production montraient un abattage digne d'éloges et, dans une direction d'acteur réglée au cordeau, sont parvenus ici à effacer le mauvais souvenir laissé par les chanteurs de l'Hélicon lors de précédentes productions.
D'une voix ample, manquant parfois de nuances, mais sachant toujours jouer sur le registre de l'émotion, Anna Kazakova (soprano) campait une Lady Macbeth tout à fait crédible et très sûre techniquement. Même remarque pour l'amant, Sergueï chanté par Alexeï Kossaref (ténor) qui faisait preuve d'une belle vaillance tant vocale que physique. L'orchestre était dirigé par Vladimir Ponkin avec une souplesse féline indispensable pour une telle mise en scène. À noter que le mauvais temps avait rapatrié à la salle Berlioz l'opéra qui devait être donné à la Cour des Ursulines. Il n'a rien perdu au change et force le coup de chapeau aux équipes techniques du Festival et de l'Hélikon.
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Festival de Radio France et Montpellier, Opéra Berlioz Le Corum, Le 27/07/2000 Olivier BERNAGER |
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