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CRITIQUES DE CONCERTS |
23 novembre 2024 |
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Création mondiale de Written on Skin de George Benjamin dans une mise en scène de Katie Mitchell et sous la direction du compositeur au festival d’Aix-en-Provence 2012.
Aix 2012 (3) :
Un opéra enluminé
S’il est encore trop tôt pour qualifier le nouvel opéra de George Benjamin et Martin Crimp de chef-d’œuvre, Written on Skin, inspiré de la légende occitane du Cœur mangé, a été l’événement incontestable du festival d’Aix-en-Provence. Espérons que la perfection de cette production princeps lui permettra d’entrer au répertoire.
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Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence
Le 11/07/2012
Mehdi MAHDAVI
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Lights, camera, action !
Vigueur et courants d’air
En passant par la mort
[ Tous les concerts ]
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Comment écrire un opéra aujourd’hui ? Souvent le poids de cette question qu’on finirait par croire insoluble tend à mener les réponses, aussi variées soient-elles, dans une impasse. Car mus par l’obsession de l’inouï, les compositeurs les plus radicaux pourfendent les conventions narratives pour commettre des objets lyriques peu identifiables destinés à des espaces forcément modulables.
Sans voix, et pourquoi pas sans musique – voilà , poussé jusqu’au sophisme, le raisonnement des plus ardents fossoyeurs d’un genre maintes fois enterré, et qui pourtant bouge encore… Pour ces tenants d’un progressisme à tout crin, l’unanimité qui a salué la création de Written on Skin (Écrit sur la peau) a dû résonner comme un camouflet.
Après Into the Little Hill, qui relevait sans doute davantage de la cantate, George Benjamin et Martin Crimp ont écrit un opéra, dans le respect des lois du genre. Inscrite dans un cadre contemporain mais non réaliste par un chœur d’anges, archéologues sans pitié d’un XIIIe siècle mis à distance par le recours au style indirect par lequel les personnages ranimés d’entre les morts deviennent leurs propres narrateurs, l’intrigue inspirée de la légende occitane du « cœur mangé » est développée en trois parties linéaires, divisées en quinze séquences : un homme sert à sa femme le cœur de son amant, un troubadour transformé en enlumineur par le dramaturge pour éviter le pléonasme entre sa profession et le mode d’expression du théâtre lyrique.
Hors – de l’air – du temps en ce qu’elle assume ses influences sans succomber à la tentation du pastiche ou de la citation, la musique de Benjamin ne se dérobe pas à la perception, l’appréciation immédiates. L’orchestre de cordes et de vents tisse un fond mouvant, aux sombres transparences colorées à la manière d’une enluminure par les percussions et les sonorités précieuses de la viole et de l’harmonica de verre.
Soucieux de l’intelligibilité d’une déclamation au débit souplement modulé autant que de l’équilibre entre la scène et la fosse, où il dirige le Mahler Chamber Orchestra, le compositeur anglais soutient la progression dramatique par une dynamique retenue, que libère des climax fulgurants.
La représentation remplit dès lors les conditions d’un théâtre total, dont les éléments indissociables nourrissent une émotion sans cesse croissante. Et s’il est présomptueux de crier au chef-d’œuvre après une première audition, l’ouvrage fascine par l’économie avec laquelle il touche au plus profond. La place qu’il lui revient dès lors de prendre au répertoire ne pourra certes manquer de ranimer les querelles d’écoles, étouffées peut-être par la perfection de cette production princeps.
Dans le décor sur deux niveaux de Vicki Mortimer, la mise en scène de Katie Mitchell passe de la lumière clinique du XXIe siècle à l’épure brumeuse de l’époque médiévale en gestes raréfiés, essentiels, qui accompagnent la concision du verbe, et fait basculer le huis clos du rêve au cauchemar, brisant la quête d’individualité d’Agnès dans une dernière scène hypnotique.
Barbara Hannigan s’y jette à corps perdu, prolongeant par une présence physique frémissante la netteté d’un chant aux ressources expressives infinies. Dans le rôle du Protecteur, Christopher Purves atteint une même intensité, terrifiant de pitoyable cruauté. Quant à Bejun Mehta, le contre-ténor le plus stupéfiant de sa génération non pas tant par l’étendue ou la beauté de l’instrument que par son accomplissement artistique, il insuffle au Garçon le trouble d’une chair à la virilité impalpable.
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