|
|
CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
|
Entre l'opera seria et le drame romantique, Iphigénie en Tauride est un chef d'oeuvre à l'image de son époque : en pleine mutation. Dans la même période, Mozart compose Mithridatemais ne rivalisera avec l'écriture chorale de Gluck qu'en 1780 avec Idomeneo. Est-ce pour souligner ce caractère de " transition " de Iphigénie ? Salzbourg a placé cette année un spécialiste du répertoire baroque à la tête de l'orchestre du Mozarteum : Ivor Bolton. Dès l'ouverture, ce dernier montre pourtant qu'il s'accommode parfaitement des instruments moderne et il affime au fil des airs et récitatifs un sens aigu de la caractérisation psychologique des personnages.
On attendait beaucoup moins de Claus Guth, dont la première mise en scène salzbourgeoise avait déçu, l'an dernier, pour la création de Cronaca del Luogo de Luciano Berio. A tort car son travail pour Iphigénie montre bien qu'il est un des metteurs en scène de pointe de la jeune génération germanique. Avec le concours de Christian Schmidt pour la scénographie, Guth a résumé le parcours de Gluck, enrobant la scène de velours frappé d'un dessin viennois, avec un parquet à la Versailles, et habillant Iphigénie et ses compagnes de longues robes blanches de tragédie grecque stylisée. En contrepoint de l'action, des figurants portant de gros masques rappellent ce qui se chante - le drame des Atrides - à coup de poignards et de sang. Du sang, il y en a sur les robes blanches, il y en aura beaucoup autour de cette Iphigénie, à laquelle Susan Graham confère une exceptionnelle grandeur tragique. Sa voix est claire, ample et pathétique, mais sans pathos. Elle incarne la définition de l'opéra selon Gluck, " simplicité, vérité et naturel ". De surcroît sa prononciation française est si claire que chaque vers est intelligible.
| | |
Trois hommes s'acharnent autour d'Iphigénie. D'un côté le roi Thoas, tyrannique et angoissé, auquel la voix noble de Philippe Rouillon apporte une présence inquiétante. De l'autre, Oreste et Pylade alias Thomas Hampson et Paul Groves, deux amis qui détiennent la clé du drame. Ces deux voix, baryton et ténor, se mêlent en un dessin d'une harmonie infinie. Ainsi ce quatuor vocal, par la beauté même du chant, rend encore plus poignant l'âpre destin des êtres voués à la colère des Dieux. Claus Guth éclaire sa mise en scène par une chorégraphie à l'intention des figurants qui doublent le choeur de l'Opéra de Vienne et le rendent présent et efficace. Car les choristes viennois sont incapables de chanter et de bouger en même temps, conservant un côté XIXè siècle, ridicule à souhait. Malgré eux, Iphigénie est un grand spectacle.
Iphigénie en Tauride de Christoph Willibald Gluck
Opéra en cinq actes sur un livret de Nicolas François Guillard
Orchestre du Mozarteum
Choeurs de l'Opéra de Vienne
Direction musicale : Ivor Bolton
Clavecin : Robert Howarth
Mise en scène : Claus Guth
DĂ©cors et costumes : Christian Schmidt
Direction des choeurs : Donald Palumbo
Assistante chorégraphique : Helge Letonja
Avec Iphigénie (Susan Graham), Oreste (Thomas Hampson), Pylade (Paul Groves), Thoas (Philippe Rouillon), Diane (Olga Schalaeva), une femme grecque (Elena Belova-Nebera), deux prêtresses (Christiane Kohl et Astrid Hofer), un Scythe (Patrick Arnaud), un serviteur du temple (Walter Zeh).
| | |
| | |
|