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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production du Vaisseau fantôme de Wagner dans une mise en scène de Jan-Philipp Gloger et sous la direction de Christian Thielemann au festival de Bayreuth 2012.
Bayreuth 2012 (2) :
Beaucoup d’air pour rien ?
Si la réussite musicale du nouveau Vaisseau fantôme de Bayreuth ne fait aucun doute, entre la direction au souffle incomparable de Christian Thielemann et un plateau de très belle tenue, la transposition scénique habile en soi dans le monde du Capital corrupteur d’âmes ne passe-t-elle pas in fine à côté des préoccupations métaphysiques du livret ?
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La crise financière a cela d’épatant qu’elle commencerait presque à ouvrir les yeux d’une population mondiale hypnotisée par l’argent-roi sur les limites du capitalisme, dont le mécanisme de base repose sur les plus vils aspects de la nature humaine.
D’où une flopée d’œuvres d’art s’emparant soudain avidement du sujet. Comme dans le récent Cosmopolis de David Cronenberg, le jeune metteur en scène Jan Philipp Gloger dénonce les ravages de l’économie au service du Capital dans un monde où la vitesse est devenue un nouvel Éden, vidant les âmes de toute substance.
Son Vaisseau fantôme se déroule dans un impressionnant décor de serveur de données, de réseau numérique où des compteurs affolés témoignent en temps réel de l’accroissement exponentiel de la dette mondiale, à coups de clignotements épileptiques.
PDG chic d’une société de ventilateurs, métaphore parfaite d’un monde de l’entreprise où l’on brasse beaucoup d’air, Daland est flanqué d’un Pilote DirCom glouton de réussite, singeant ses manières et bondissant de joie en dévoilant les nouveaux prototypes comme s’il annonçait la découverte d’un vaccin contre le SIDA.
Dans un univers aussi cupide, et au passage très machiste – c’est aux fileuses du livret qu’échoient les plus basses besognes –, une Senta toute gamine, créative, aimant à peindre en rouge sang tout ce qu’elle approche, fait clairement figure d’inadaptée, de rêveuse nocive aux velléités de pouvoir de son père, trop heureux de pouvoir la caser avec un golden-boy.
Ce Hollandais aux tatouages inquiétants, comme venu du futur, émergé des arcanes informatiques tel un mauvais génie ayant toujours un temps d’avance sur la concurrence et se comportant en parfait salaud avec son entourage, ne pourra que fasciner la jeune idéaliste que révulse un Erik homme à tout faire minable avec son pistolet à colle et son charisme prolo.
La transposition fonctionne, jusqu’à une scène des marins transformée en fête d’accueil pour un équipage hollandais qui incendie les derniers plans de la boîte, et toujours avec une direction d’acteurs crédible, y compris chez un Steuermann en petit roquet pitoyable d’ambition frénétique.
La chute laisse plus circonspect : leurs âmes sont si fortement connectées que Senta tue le Hollandais en se poignardant, et l’entreprise se recycle après un bref tomber de rideau dans la vente de figurines animées à l’effigie du couple maudit, preuve que rien n’est trop tragique pour faire du business.
Musicalement, en revanche, rien à redire face à une exécution qui a beaucoup gagné en cohésion depuis la radiodiffusion de la première, et notamment la direction de Christian Thielemann, débarrassée des hésitations initiales, puissante et cursive, qui sourd de la fosse couverte de Bayreuth avec force et ne cesse d’étonner par son avancée – l’air de Daland.
Après des prestations remarquées dans les Maîtres, Parsifal et Tannhäuser, en passant par un Ring très décevant, Thielemann fait feu de tout bois dans la trame nerveuse du Holländer, dont il arpente la mouture en un acte sans répit ni essoufflement.
Même s’il n’est pas le plus tourmenté des Hollandais, le plus précis en texte non plus, Samuel Youn campe un damné à la projection mordante, très dans le masque, tout en morgue et aux éclats de vindicte clairs.
Plutôt grêle à la radio, la Senta d’Adrianne Pieczonka est en salle une merveille d’émission canalisée, avec une voix un peu légère par rapport à la tradition, mais qui darde des aigus au focus impressionnant et d’une précision salutaire pour la jeunesse insolente du personnage proposé.
Seule la Mary clairement matrone de Christa Mayer déçoit, car du Steuermann franc du collier de Benjamin Bruns à l’Erik un peu indolent et falot de Michael König, parfait pour le rôle, en passant par l’évangélisme roublard du Daland irrégulier mais très musical de Franz-Josef Selig, le plateau est sans nul doute le meilleur de ces dernières années sur la Colline.
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