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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Première au festival de Salzbourg 2012 de Giulio Cesare de Haendel dans la mise en scène de Patrice Caurier et Moshe Leiser et sous la direction de Giovanni Antonini.
Salzbourg 2012 (11) :
Jules César chez Cléopâtre
Feu d’artifice que ce Jules César à Salzbourg, fraîchement accueilli lors du festival de Pentecôte. Plateau éblouissant, orchestre théâtral, galerie de personnages hauts en couleur et mise en scène ébouriffante, tout est pourtant réuni pour un spectacle diablement réussi, à mettre entre toutes les mains – y compris celles des allergiques à l’opera seria.
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Patrice Caurier et Moshe Leiser auraient-ils tout compris à l’opera seria ? Mettant en perspective le sens de l’œuvre pour ses contemporains et les attentes du public d’aujourd’hui, ils ont renoncé à comprimer ce Giulio Cesare dans la linéaire trajectoire dramatique moderne au profit de volutes baroques digressives et savoureuses.
Alors évidemment, on n’est ici ni chez Racine, ni chez Hugo, mais chez Shakespeare, et le moins qu’on puisse dire est qu’on rit beaucoup et que nul ne « chie du marbre », pour reprendre la formule d’Amadeus. Choquant ? Pas si on se souvient d’un Monteverdi, si on pressent un Mozart.
À nous de faire l’effort intellectuel de ne pas chercher chez Haendel un message, une direction tels qu’ils sont revendiqués chez un Wagner. C’est ici l’épisode qui compte, et l’intrigue n’est qu’un prétexte à des numéros qui sont le cœur de l’affaire.
Et ils s’avèrent dans le cas présent d’une virtuosité totale. Soutenue par une direction d’acteurs rigoureuse, lisible, précise, qui fait exister les personnages avec évidence, la mise en scène fait feu de toutes les conventions théâtrales et musicales pour produire du jeu.
La transposition dans un pays de l’OPEP fonctionne à plein régime, irriguée d’un cynisme politique dédramatisé – les contrats pour se partager l’or noir, les photos officielles, le service de sécurité, le cocktail final avec grooms du festival – comme si toute cette histoire n’était qu’une petite fête entre chefs d’état.
Les gags sont légion, toujours bien vus, bien réalisés, et l’humour coïncide finement avec le livret – la « vertu » de Lydia qui décolle après sa désopilante revue à califourchon sur un missile phallique, la scène gore où Ptolémée éviscère le mannequin de César, le verre de l’amitié empoisonné qui fait crever les fleurs – sans pour autant prendre toute la place.
Le tragique, la violence ne sont pas laissés pour compte, et Cornelia porte sans doute les moments les plus noirs du spectacle – sa soumission au bordel de Ptolémée, sa prise de conscience quand elle vient d’armer son fils comme un kamikaze palestinien.
Car les personnages ont une véritable épaisseur, fruit d’un équilibre rare entre prestation individuelle et distribution. Anne Sofie von Otter est la figure tragique, ombre plaintive et timbre habité qui hante le plateau. Son fils, pur rayon d’innocence, d’une juvénilité inouïe, bénéficie de la stature de petit garçon et du timbre frais d’un Philippe Jaroussky à son tout meilleur.
Matière vénale, pulpeuse, un rien hystérique, Christophe Dumaux incarne un Ptolémée fébrile, agressif et libidineux, escorté par l’étonnant Achilla de Ruben Drole, manières d’homme des cavernes et douceur d’ours en peluche, qui aboie son amour et grogne ses bonnes intentions.
Flanquée de la savoureuse Nirena de Jochen Kowalski, plus très en voix, mais roué(e) et au fond bien sensible, la Cléopâtre du bel canto Cecilia Bartoli alterne les lamenti les plus impalpables et une invraisemblable énergie, dans une virtuosité exaltante, une rigueur technique sans faille et un bonheur manifeste. En cela aussi le spectacle est des plus baroques, qu’on passe à la vitesse de l’éclair du rire aux larmes.
Reste le captivant César d’Andreas Scholl, pragmatique et désinvolte, visiblement coutumier des séductions faciles et des arcanes du pouvoir, figure de jeune premier de gouvernement, et qui cache sous les vices ordinaires des sphères du pouvoir un timbre angélique, rappelant son professeur René Jacobs mais avec un moelleux transparent qui n’appartient qu’à lui.
Un peu juste en volume, mais sur le tapis caméléon d’un Giardino Armonico savamment contenu par Giovanni Antonini, il propose une alchimie stimulante entre innocence et superficialité, qui est au fond l’essence même du théâtre baroque en ce qu’on s’y délecte des revirements des personnages, tout sauf linéaires.
Régalons-nous sans vergogne de cette transposition du genre pour le public de notre époque, tant les autres alternatives restent problématiques, la version de concert par son manque d’imagination, la dramaturgie modernisée par son peu de fondement, le fac simile par son peu d’impact. Et que les esprits chagrins soient jetés aux crocodiles !
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