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CRITIQUES DE CONCERTS 21 décembre 2024

Nouvelle production de Jenůfa de Janáček dans une mise en scène de Dmitri Tcherniakov et sous la direction de Fabio Luisi Ă  l’OpĂ©ra de Zurich.

La honte en héritage
© Monika Rittershaus

Lecture diablement stimulante que cette nouvelle Jenůfa de Zurich confiĂ©e aux manipulations gĂ©nĂ©alogiques d’un Dmitri Tcherniakov actualisant avec un total succès le livret le plus classique de Janáček. Direction peu idoine, Ă  la main lourde, et plateau d’excellente facture complètent une ouverture de saison pour le moins prometteuse.
 

Opernhaus, ZĂĽrich
Le 04/10/2012
Yannick MILLON
 



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  • Les opĂ©ras de Janáček requièrent une bonne gestion de l’appareil orchestral si gĂ©nialement ciselĂ© par le maĂ®tre de Brno, et Jenůfa, son premier grand ouvrage lyrique, ne fait en rien exception Ă  la règle, nĂ©cessitant comme les opus plus tardifs une attention au timbre de tous les instants.

    Sur ce point, la nouvelle production de l’Opéra de Zurich n’est pas entièrement convaincante, la main un peu lourde de Fabio Luisi ne rendant que partiellement justice à une orchestration parmi les plus grisantes du répertoire. Ce large geste à l’allemande, avec de somptueux effluves de cordes, des bassons et clarinettes très en dehors mais en rien acidulés, reste en marge des couleurs saturées de la partition.

    Car de saturation, on ne retiendra ici que le volume constamment excessif Ă©mergeant de la fosse, ne dĂ©bordant heureusement jamais le plateau en raison de la largeur de voix de très beau calibre. Encore qu’en soi, le timbre de Kristīne Opolais soit souvent dĂ©pourvu de grâce, altĂ©rĂ© par de l’air dans le piano, parfois grĂŞle dans la pleine voix. Mais au moins un personnage existe, ardent, brĂ»lant les planches.

    Michaela Martens n’a pas non plus un matériau de belle qualité, mais sa Sacristine dispose de l’éclat nécessaire d’un troisième registre bien dardé, et d’une réelle autorité vocale tout entière concentrée sur l’inflexible. Loin des spectres vocaux, Hanna Schwarz campe quant à elle une Burya encore jeune, à la classe intacte, à l’impact sidérant eu égard à la longueur d’une carrière vénérable.

    Carton plein également chez les deux frangins, tant le Števa frimeur et veule d’un Pavol Breslik idéal de jeunesse imbécile que le Laca en authentique poids lourd vocal d’un Christopher Ventris aux élans de lyrisme déchirants, à la projection ample et claire. Parmi les petits rôles, ce sont les sopranos qui volent la vedette, notamment la Barena vif-argent de Herdis Anna Jónasdóttir et la Karolka d’Ivana Rusko.

    © Monika Rittershaus

    La réussite de l’ensemble tient toutefois bien autant à la relecture fascinante de Dmitri Tcherniakov, décidément l’un des metteurs en scène les plus captivants du moment. On connaît sa manie de la généalogie, lui ayant inspiré jusqu’à une réécriture familiale saugrenue dans Don Giovanni.

    Rien d’aussi excentrique ici, mais une volontĂ© de crĂ©dibiliser aux yeux du public contemporain la honte pour Jenůfa d’avoir, selon l’expression populaire, fĂŞtĂ© Pâques avant les Rameaux, et la rĂ©action radicale de la Sacristine.

    La morale religieuse de l’opĂ©ra n’ayant plus guère d’écho dans le monde laĂŻque d’aujourd’hui, Tcherniakov mise donc sur la reproduction des conflits familiaux au sein d’une lignĂ©e fĂ©minine rajeunie : une Burya grande bourgeoise passant sa vie Ă  jouer les coquettes hĂ©berge ainsi une Kostelnička quadragĂ©naire elle aussi traumatisĂ©e par sa propre inconsĂ©quence de naguère.

    De la mĂŞme manière, loin des hĂ©roĂŻnes innocentes et Ă©plorĂ©es Ă  qui arrivent tous les malheurs du monde, une Jenůfa adolescente et capricieuse justifie d’autant mieux l’incongruitĂ© apparente de son inclination pour ce pleutre beauf de Ĺ teva, beau gosse Ă©cervelĂ© abhorrant plus que tout les contraintes.

    Non moins pertinente est la scénographie, vaste triplex vert-anis que le spectateur visite d’étage en étage, jusqu’à la trappe de cette mansarde où une Burya perdant petit à petit les pédales découvrira le berceau qui semble aimanter les femmes de la famille. Détournement constamment réussi d’une dramaturgie n’ayant jamais semblé aussi accrocheuse et contemporaine.




    Opernhaus, ZĂĽrich
    Le 04/10/2012
    Yannick MILLON

    Nouvelle production de Jenůfa de Janáček dans une mise en scène de Dmitri Tcherniakov et sous la direction de Fabio Luisi Ă  l’OpĂ©ra de Zurich.
    Leoš Janáček (1854-1928)
    Jenůfa, opĂ©ra en trois actes (1904)
    Livret du compositeur d’après JejĂ­ pastorkyňa de Gabriela Preissová

    Chor der Oper ZĂĽrich
    Philharmonia ZĂĽrich
    direction : Fabio Luisi
    mise en scène & décors : Dmitri Tcherniakov
    costumes : Elena Zaytseva
    Ă©clairages : Gleb Filshtinsky
    préparation des chœurs : Ernst Raffelsberger

    Avec :
    Kristīne Opolais (Jenůfa), Michaela Martens (Kostelnička), Hanna Schwarz (Stařenka Burjovka), Christopher Ventris (Laca Klemeň), Pavol Breslik (Ĺ teva Buryja), Cheyne Davidson (Stárek), Pavel Daniluk (Rychtář), Irène Friedli (Rychtářka), Ivana Rusko (Karolka), ChloĂ© Chavanon (Pastuchyňa), Herdis Anna JĂłnasdĂłttir (Barena), Susanne Grosssteiner (Jano).

     


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