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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Médée de Charpentier dans une mise en scène de Pierre Audi et sous la direction d’Emmanuelle Haïm au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
Ni mythique ni révolutionnaire
Coup d’envoi sans envergure de la trilogie Médée du Théâtre des Champs-Élysées. Car ni la direction musicale perdue dans le lointain d’Emmanuelle Haïm, ni la mise en scène de Pierre Audi, tirée vers le Regietheater le plus éculé par les décors de l’artiste Jonathan Meese, ne rendent justice aux singularités de l’unique tragédie lyrique de Charpentier.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris
Le 12/10/2012
Mehdi MAHDAVI
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Privilège du Surintendant oblige, Marc-Antoine Charpentier fut tenu à l’écart de l’Académie Royale de Musique jusqu’à la mort de Lully. Il lui fallut pourtant attendre encore six ans avec que Jean-Nicolas Francine ne fasse enfin appel à lui, comme en désespoir de cause. Créée le 4 décembre 1693, Médée connut un certain succès, et reçut même un compliment du roi. Mais cela ne suffit pas à assurer la gloire de l’ouvrage, qui tomba au bout de dix représentations, victime, selon Sébastien de Brossard, des « caballes des envieux et des ignorants ».
Non que le compositeur de cinquante ans se soit écarté du modèle de la tragédie lyrique, du moins en apparence, mais parce qu’il y trace son propre sillon, libre et novateur. Pas un instant cependant, la direction d’Emmanuelle Haïm ne se hisse à la hauteur de son génie. L’acoustique du Théâtre des Champs-Élysées n’y est certes pas étrangère, qui décidément relègue dans le lointain les ensembles d’instruments anciens, même étoffés comme le sont ceux du Concert d’Astrée, et à plus forte raison lorsque la basse continue les réduit à leur plus simple expression.
C’est néanmoins le geste de la claveciniste devenue chef qui peine d’abord et avant tout à traduire sa pensée, manquant à la fois de fluidité, c’est-à -dire de naturel dans l’expression des affects, et de netteté pour ne pas perdre ses troupes en déroute à travers ce qu’elle-même appelle les « incroyables méandres » du langage harmonique de Charpentier. D’autant qu’elle échoue à unifier, sur le plan du style comme de la langue, un plateau aux capacités vocales très diverses, sinon disparates.
Car pour les silhouettes parfaitement orthodoxes des seconds rôles, au premier rang desquels l’Italienne, le fantôme et la Vengeance limpides et souples de Katherine Watson, combien de déséquilibres. À moins de s’attarder sur une émission rocailleuse et grisonnante grevée par un vibrato béant, Laurent Naouri fait un Créon incontestable, dont l’acteur ne peut certes s’empêcher de charger la cupide hypocrisie jusqu’à la caricature.
Mais la voix glorieuse, le verbe impérieux de Stéphane Degout ne sont-ils pas pour Oronte des luxes inutiles, alors même que Benoît Arnould aurait pu y faire valoir ses qualités de timbre et de diction avec bien plus d’éclat que dans les trois phrases d’Arcas ? La mozartienne de rêve qu’est Sophie Karthäuser, avec ce que cela implique de grâce et de sensibilité, ne serait pas moins sous-employée si la mort ne donnait des couleurs, ou plutôt des ombres à Créuse.
À l’inverse, la haute-contre fade, étroite et désinvolte d’Anders Dahlin émascule Jason – quand bien même le Thessalien ne serait qu’un bellâtre, ce que la tessiture ne saurait contredire. Grand écart enfin pour Michèle Losier, qui de Dorabella en mai dernier sur la même scène passe à Médée, non sans dommages sur la pulpe de son mezzo frémissant. Car la Canadienne n’est que musicienne dans ce rôle qui exige une tragédienne aux mots acérés pour rendre justice non seulement à Charpentier mais aussi à Thomas Corneille.
À sa décharge, la mise en scène de Pierre Audi n’assume ni la dimension mythique de la tragédie, ni la dimension tragique du mythe – et les gesticulations larvaires des danseurs qui accompagnent les incantations de la magicienne ne suscitent pas davantage d’effroi cathartique. Toujours en quête d’un langage un tant soit peu personnel, le directeur du Nederlandse Opera semble d’ailleurs avoir renoncé à toute référence au théâtre baroque – l’apparition d’Amour exceptée – et concentre ses efforts sur un jeu d’acteurs qui, s’il se veut moderne et psychologique, ne dépasse pas les conventions du soap opera.
C’est aux décors et autres collages de Jonathan Meese qu’il revient dès lors de semer le trouble. Mais ces juxtapositions de couleurs criardes ou glauques, ces symboles forcément ésotériques ne se démarquent pas plus que les costumes vintage, entre années 1970 et 1980, de Jorge Jara des clichés esthétiques d’un certain Regietheater auquel Paris, et quoi qu’aient pu en penser les contempteurs de Gerard Mortier, avait jusqu’à présent échappé. Est-ce là le vent révolutionnaire que « l’enfant terrible et charismatique de la peinture allemande », qui par ses performances à la violence paraît-il insoutenable « prône la dictature de l’art », était censé faire souffler sur la scène lyrique ?
Prochaines représentations les 15, 17, 19, 21 et 23 octobre, puis les 6, 8, 10, 13 et 15 novembre à l’Opéra de Lille.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 12/10/2012 Mehdi MAHDAVI |
| Nouvelle production de Médée de Charpentier dans une mise en scène de Pierre Audi et sous la direction d’Emmanuelle Haïm au Théâtre des Champs-Élysées, Paris. | Marc-Antoine Charpentier (1643-1704)
Médée, tragédie en musique en cinq actes et un prologue (1693)
Livret de Thomas Corneille
Chœur et Concert d’Astrée
direction : Emmanuelle HaĂŻm
mise en scène : Pierre Audi
scénographie : Jonathan Meese, associé à Marlies Forenbacher
costumes : Jorge Jara
dramaturgie : Willem Bruls
Ă©clairages : Jean Kalman
chorégraphie : Kim Brandstrup
Avec : Michèle Losier (Médée / la Gloire), Anders Dahlin (Jason / un berger), Sophie Karthäuser (Créuse / la Victoire / seconde bergère), Stéphane Degout (Oronte / un chef des habitants / un berger), Laurent Naouri (Créon), Aurélia Legay (Nérine / Bellone), Elodie Kimmel (Cléone / première bergère), Benoît Arnould (Arcas, un habitant / un Argien), Katherine Watson (Une Italienne /un fantôme / la Vengeance), Clémence Olivier (L’Amour), Samuel Boden (Corinthien I / un démon), Matthieu Chapuis (Corinthien II / la Jalousie).
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