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CRITIQUES DE CONCERTS |
31 octobre 2024 |
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Nouvelle production de Carmen de Bizet dans une mise en scène d’Yves Beaunesne et sous la direction de Philippe Jordan à l’Opéra de Paris.
Bizet outragé
Nouveau ratage à la Bastille : Carmen, l’œuvre fétiche du répertoire français, est copieusement huée. La mise en scène d’Yves Beaunesne, directeur du Centre Dramatique de Poitou Charente, surprend par son inconsistance et irrite par sa prétention, tandis que les voix demeurent en-dessous des standards de l’Opéra de Paris. Seul l’orchestre et Philippe Jordan en sortent indemnes.
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N’est pas Almodovar qui veut. Yves Beaunesne a choisi ses références chez le cinéaste espagnol en situant Carmen dans les années 1970-1980, pendant la Movida. Mais l’effervescence joyeuse, colorée et créative qui surgit dans l’Espagne de cette époque n’imprègne que superficiellement sa mise en scène.
Sa seule extravagance est sa Carmen à perruque blonde qui se révèle une copie de Penélope Cruz jouant dans le film Étreintes brisées d’Almodovar le personnage de Marilyn Monroe. Ce troisième degré, si loin de Bizet et de Mérimée, est plutôt cocasse. On y croirait s’il était mieux expliqué, plus savamment amené.
La ravissante Anna Caterina Antonacci aurait la sensualité pulpeuse de Marilyn si elle était mieux entourée. Don José, plutôt beau ténébreux (Nikolaï Schukoff), n’est ni lâche, ni amoureux, ni dévoré par la passion : il est insipide. On a du mal à le distinguer au milieu des soldats avachis.
Quant à Escamillo (Ludovic Tézier), il évoque plus un Elvis Presley bedonnant qu’un séduisant torero, assidu au charme féminin. Seule Micaela (remarquable Genia Kühmeier), la naïve venue des montagnes navarraises, en robe bleue comme le veut la tradition, incarne physiquement et vocalement le personnage.
Le décor unique – une friche d’usine – est triste à mourir. Il ne met en évidence ni l’action à laquelle on ne croit jamais, ni la musique. Et ce n’est pas en multipliant le nombre de figurants qu’il s’anime, ni en faisant circuler des cyclistes à travers le vaste plateau de la Bastille que l’on comprend mieux ce qu’a voulu souligner le metteur en scène.
L’intrigue se perd dans cette foule, et chacun vient chanter son air à la rampe, planté comme un piquet, sans la moindre direction d’acteurs. Le regard échangé entre Carmen et Escamillo devrait déborder de sensualité. On le remarque à peine.
En cette soirée de première, on sent peu à peu monter la grogne des spectateurs. L’ire est à son comble au final, quand Don José sort de sa sacoche une robe de mariée vieillie, tachée – sans doute celle de sa mère – et en affuble Carmen, qui lui tend la paume de sa main tandis que peu à peu, il se blottit contre elle, la serre et l’étrangle avec un pan de la robe.
Silence, noir, et avant même la fin du baisser de rideau, des huées qui commencent à se communiquer de rangée en rangée, face à quelques maigres applaudissements. Décontenancés par cet accueil houleux, les chanteurs viennent prudemment saluer : ovation pour Kühmeier, applaudissements fébriles pour Tézier, sifflets pour Schukoff qui porte la main à sa gorge pour expliquer sa mauvaise voix de la soirée, huées pour Antonacci qui déçoit amèrement.
Naguère, en 2009, sa Carmen avait envoûté l’Opéra Comique dans la mise en scène d’Adrian Noble. Que sont devenues sa fougue, sa sensualité provocante ? Rien de tout cela dans l’immensité de Bastille. Sa voix claire n’a pas le volume et l’ampleur pour une telle salle où le drame passionnel de l’œuvre de Bizet s’est évaporé.
Quand le metteur en scène vient saluer, il est accueilli par une bronca digne des plus tristes corridas. Les dialogues parlés, le plus souvent remplacés par des récitatifs, mais qui faisaient partie de l’opéra comique tel que le souhait Bizet, ont été rétablis. C’est méconnaître les difficultés de passer du parlé au chanté à la Bastille, dont l’acoustique n’a en rien les caractéristiques nécessaires au théâtre d’art dramatique.
Malgré la sonorisation des textes, on ne comprend pas un mot de ce que disent les chanteurs. Mais c’est peut-être un bien, car quand on saisit quelques bribes, on est horrifié par le texte à la sauce populaire d’aujourd’hui – façons réécritures à la Agathe Mélinand dans Offenbach – qui se heurte aux paroles choisies, raffinées des librettistes de Bizet, Henri Meilhac et Ludovic Halévy.
Mais le plus désastreux est le manque d’émotion de cette production où l’on s’ennuie ferme. On n’a jamais vu ce drame passionnel aussi dépassionné. Les seuls à sortir du naufrage sont l’orchestre de la maison et son chef, Philippe Jordan. Les musiciens de l’Opéra possèdent la musique de Bizet dans leurs gènes. Rien d’étonnant, c’est leur patrimoine.
Ainsi l’ouverture se révèle un vrai poème symphonique aux couleurs profuses. On aurait pu s’en tenir là ! Juste avant les fêtes, Karine Deshayes viendra prendre la place d’Antonacci pour les cinq dernières représentations. On lui souhaite de relever le niveau de cette nouvelle Carmen qui laisse à vrai dire bien peu d’espoir.
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Opéra Bastille, Paris Le 04/12/2012 Nicole DUAULT |
| Nouvelle production de Carmen de Bizet dans une mise en scène d’Yves Beaunesne et sous la direction de Philippe Jordan à l’Opéra de Paris. | Georges Bizet (1833-1875)
Carmen, opéra en quatre actes (1875)
Livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy d’après la nouvelle de Prosper Mérimée
Chœurs et Orchestre de l’Opéra national de Paris
direction : de Philippe Jordan
mise en scène : Yves Beaunesne
décors : Damien Caille-Perret
costumes : Jean-Daniel Vuillermoz
éclairages : Joël Hourbeigt
préparation des chœurs : Patrick Marie Aubert
Avec :
Nikolaï Schukoff (Don José), Ludovic Tézier (Escamillo), Edwin Crossley-Mercer (le Dancaïre), François Piolino (le Remendado), François Lis (Zuniga), Alexandre Duhamel (Morales), Anna Caterina Antonacci (Carmen), Genia Kühmeier (Micaela), Olivia Doray (Frasquita), Louise Callinan (Mercedes), Philippe Faure (Lillas Pastia), Frédéric Cuif (un guide). | |
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