|
|
CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
|
Nouvelle production de la Traviata de Verdi mise en scĂšne par Andrea Breth et sous la direction dâĂdĂĄm Fischer au ThĂ©Ăątre de la Monnaie, Bruxelles.
Entre méprise et mépris
Ă lâautomne 2010, Andrea Breth noyait KĂĄtâa KabanovĂĄ dans lâhybris dâElektra. MalgrĂ© ce contre-sens aux confins de lâhermĂ©tisme, lâencre noire, le sens du sordide avec lesquels elle affirmait sa poĂ©tique singuliĂšre cimentaient un propos dâune implacable cohĂ©rence. Dans la Traviata, la grande dame du thĂ©Ăątre allemand sâest semble-t-il trompĂ©e de cible, sinon de sujet.
|
Théùtre royal de la Monnaie, Bruxelles
Le 21/12/2012
Mehdi MAHDAVI
|
|
|
|
Bons baisers dâEltsine
RĂ©gal ramiste
L'Ătrange NoĂ«l de Mrs Cendrillon
[ Tous les concerts ]
|
La tragĂ©die de Violetta rĂ©duite Ă un rĂ©quisitoire contre la prostitution, assimilĂ©e Ă ses dĂ©rives, ou bien plutĂŽt contre lâhypocrisie des hommes, malades de leurs perversions â hormis les trois solistes, pas une femme sur le plateau, puisque les choristes chantent depuis la fosse, comme pour enfoncer le clou ? Le manichĂ©isme de cette vision Ă de quoi surprendre de la part dâAndrea Breth.
Constamment sur le fil de la bien-pensance, osons mĂȘme dire dâun fĂ©minisme assez caricatural â lire absolument le tĂ©moignage de Sonia Verstappen, Entre mĂ©prise et mĂ©pris, reproduit dans la programme, pour se prĂ©munir contre les raccourcis trop simplistes â, sa mise en scĂšne entretient une forme de confusion entre le scandale quâelle dĂ©nonce et la polĂ©mique quâelle a suscitĂ©e chez les spectateurs des premiĂšres reprĂ©sentations.
Ă la demande de Peter de Caluwe, des voix, et pas des moindres â Warlikowski, Py, Castellucci, emblĂšmes de sa programmation au ThĂ©Ăątre de la Monnaie â se sont Ă©levĂ©es pour dĂ©fendre la libertĂ© artistique. Nouvelle confusion. Car le public bruxellois en a vu dâautres, accueillant avec enthousiasme, ou du moins intĂ©rĂȘt, des propositions bien plus radicales â certaine MĂ©dĂ©e qui y fut dĂ©voilĂ©e sans heurt a connu depuis des rĂ©actions autrement plus hostiles.
Ce nâest donc pas le rĂ©alisme cinĂ©matographique avec lequel Andrea Breth montre la violence dâun certain milieu qui a choquĂ©, non plus que lâorgie froide, triste, dĂ©sertĂ©e par le dĂ©sir du II â dâautant quâen matiĂšre de bondage lyrique, le deuxiĂšme acte de Parsifal par Romeo Castellucci sur la mĂȘme scĂšne Ă©tait bien plus Ă©loquent â, mais la prĂ©sence chez Flora dâune petite fille, traitĂ©e comme un objet de fantasme parmi dâautres. Sans doute nâest-il pas inutile dâattirer lâattention sur lâĂąge de ces jeunes femmes, pour certaines Ă peine sorties de lâenfance, livrĂ©es Ă la prostitution. Mais câest en Belgique raviver une plaie trop rĂ©cente que dâagiter ainsi le spectre de la pĂ©dophilie, qui plus est Ă mauvais escient.
Car si Verdi a bel et bien tendu un miroir Ă son public en sâemparant dâun « sujet actuel », la tragĂ©die de cette dĂ©voyĂ©e victime de la morale â qui en dĂ©pit de la permissivitĂ© de lâĂ©poque continue de prĂ©valoir, le tĂ©moignage de Sonia Verstappen faisant de nouveau foi â est suffisamment prĂ©gnante pour ĂȘtre jouĂ©e ici et maintenant, sans chercher Ă en dĂ©tourner lâattention au profit de la vĂ©ritĂ© sociĂ©tale quâAndrea Breth revendique comme pour exprimer un trop-plein de conscience politique.
DĂšs lors â et sans prĂ©tendre lui opposer le moindre scrupule dĂ©risoire â, la metteur en scĂšne oublie dâĂȘtre poĂšte, et prĂ©fĂšre rĂ©gler ses comptes. Giorgio Germont devient ainsi le vĂ©ritable protagoniste de lâopĂ©ra, dans la mesure oĂč son statut cristallise les nĂ©vroses de la sociĂ©tĂ©, moins pĂšre quâhomme mis Ă nu dans sa lutte contre ses propres dĂ©sirs, dont son fils lui renvoie lâimage forcĂ©ment refoulĂ©e.
Comme en Macbeth puis en Luna, et toujours aussi peu verdien de couleur, de tessiture et de ligne, Scott Hendricks fait une composition saisissante, avec cette force expressive qui lui est propre, et quâil tend tel un palimpseste aux metteurs en scĂšne pour quâils la poussent jusquâau paroxysme, ici expressionniste, lĂ intĂ©riorisĂ© jusquâĂ la dĂ©mence.
Pour sa gueule dâange, quiconque donnerait Ă SĂ©bastien GuĂšze tous les Rodolfo, les RomĂ©o du monde lyrique sans prendre la peine lâĂ©couter. Partant, le jeune tĂ©nor français se laisse dĂ©border par son enthousiasme juvĂ©nile, oubliant de doser ses Ă©clats â au point que lâaigu plus dâune fois dĂ©tonne, quand il ne frĂŽle pas lâaccident â, et surtout de prĂ©server un instrument auquel il conviendrait de laisser le temps de mĂ»rir Ă lâabri dâemplois trop large pour ce timbre di grazia, qui ferait merveille, peut-ĂȘtre, dans ces rĂŽles mozartiens gĂ©nĂ©ralement privĂ©s de chaleur latine.
Câest justement en mozartienne que Simona Ć aturovĂĄ, annoncĂ©e souffrante et donc avec un surcroĂźt de prudence, aborde Violetta. AgilitĂ© cristalline, timbre gracieux, musicalitĂ© dĂ©licate, la soprano slovaque rĂ©vĂšle une prĂ©sence sensible, et comme une maturitĂ© frĂȘle, qui rendent son incarnation constamment touchante, mais jamais bouleversante.
Comme indiffĂ©rent Ă sa fragilitĂ©, alors mĂȘme quâil donne lâimpression dâĂȘtre aussi attentif au plateau que peut lâĂȘtre un vieux routier des fosses dâopĂ©ra, ĂdĂĄm Fischer cravache, burine lâorchestre verdien, et surcharge le drame dâintentions qui en nivellent paradoxalement les nuances psychologiques. Celles-lĂ mĂȘme que savait rendre lâinfinie palette de gris de Sylvain Cambreling, pourtant si vivement contestĂ© Ă Paris.
Mais alors Christoph Marthaler racontait, sans pour autant faire lâimpasse sur les maux du siĂšcle, la dĂ©chĂ©ance dâune Piaf tombĂ©e du nid.
| | |
|
Théùtre royal de la Monnaie, Bruxelles Le 21/12/2012 Mehdi MAHDAVI |
| Nouvelle production de la Traviata de Verdi mise en scĂšne par Andrea Breth et sous la direction dâĂdĂĄm Fischer au ThĂ©Ăątre de la Monnaie, Bruxelles. | Giuseppe Verdi (1813-1901)
La Traviata, opéra en trois actes (1853)
Livret de Francesco Maria Piave dâaprĂšs la Dame aux camĂ©lias dâAlexandre Dumas fils
ChĆurs et Orchestre symphonique de la Monnaie
direction : ĂdĂĄm Fischer
mise en scĂšne : Andrea Breth
décors : Martin Zehetgruber
costumes : Moidele Bickel
Ă©clairages : Alexander Koppelmann
Avec :
Simona Ć aturovĂĄ (Violetta ValĂ©ry), SĂ©bastien GuĂšze (Alfredo Germont), Scott Hendricks (Giorgio Germont), SalomĂ© Haller (Flora Bervoix), Carole Wilson (Annina), Dietmar Kerschbaum (Gastone, visconte de LetoriĂšres), Till Fechner (Barone Douphol), Jean-Luc Ballestra (Marchese dâObigny), Guillaume Antoine (Dottor Grenvil), Gijs Van der Linden (Giuseppe). | |
| |
| | |
|