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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Création de l'Amour de loin de Kaija Saariaho au Festival de Salzbourg
Un penchant si français
© Marie-Noëlle Robert
Le premier opéra de la compositrice finnoise Kaija Saariaho constituait le véritable événement du festival de Salzbourg cette année. Bien que réunissant des personnalités très cosmopolites, le spectacle s'est révélé un hymne imprévu à la langue française.
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En situant son premier opéra à l'âge des troubadours, Kaija Saariaho a opté pour un univers proche du symbolisme idéaliste, avec ce thème de la femme inaccessible et pure, dont l'amour est nimbé de mystère et d'une certaine mystique, dans cette quête de la sérénité, où se retrouvent Odilon Redon, Henri Martin et Gustave Moreau. Mais cet Amour de loin peut aussi paraître le symbole de cette musique de France à laquelle rêvait la compositrice finlandaise, avant qu'elle ne s'installe à Paris, en 1982, pour parfaire ses études à l'Ircam. Car c'est bien de musique française qu'il s'agit, d'un héritage de couleurs foisonnantes qui embrasse d'un même souffle les troubadours et Ravel, Messiaen et les expériences des musiques spectrales. Kent Nagano, à la tête de l'Orchestre de la Radio de Baden-Baden et Fribourg (en Brisgau), a perçu ces divers courants, a su les fondre en un discours cohérent, pour en obtenir une spatialisation, avec l'aide discrète des ingénieurs de l'Ircam.
Mais l'histoire véridique du prince-troubadour Jaufré Rudel, Kaija Saariaho l'a confiée à l'écrivain libanais, Amin Maalouf, qui s'en est saisi pour l'habiller de sentiments profonds, en un verbe d'une grande beauté. Le prince de Blaye, troubadour refusant la volupté de son siècle, chante une femme lointaine à laquelle il rêve. Lorsqu'il apprend d'un pèlerin que cette femme existe, puis qu'elle connaît ses chants, il se croise et part pour Tripoli rencontrer son Amour de loin. Suite aux fatigues de la traversée, il mourra aux pieds de la comtesse Clémence.
Le texte de Maalouf, qui s'enrichit de certaines références aux vers de Rudel, offre à la compositrice un apport rythmique non négligeable. Car le français étant une des rares langues à ignorer l'accentuation syllabique - ce qui le rend si périlleux pour le chant – c'est à l'audace des images poétiques de Maalouf que répond la fantaisie de la compositrice, laquelle fait chanter les mots avec une aisance rare.
Cela explique que les trois interprètes, dont aucun n'est de langue française, aient pu rendre le texte intelligible : on suit l'histoire, d'autant plus que Peter Sellars l'éclaire d'une mise en scène simple mais éloquente, trop inspiré par l'Orient pour ne pas avoir saisi le pouvoir de cette gestique dépourvue de toute préciosité. La scénographie, stylisée au maximum par George Tzypin, montre une tour toulousaine à jardin et l'équivalent d'un minaret à cour. Entre eux la mer, sur laquelle une barque (celle de Tristan ou d'Isis, celle de la mort !) lentement conduit Rudel vers la comtesse Clémence. Tantôt rapide, tantôt lente, l'action se déroule en deux heures, sans monotonie, l'orchestre étant à la fois décor et confidence du non-dit, entre ces deux êtres qui ne se parlent que par le truchement d'un pèlerin mystérieux, auquel Dagmar Peskova prête sa voix profonde et l'intelligence de son jeu.
Dwayne Croft est un prince de Blaye qui chante comme d'autres parlent, avec intériorité et charisme. Face à lui, Dawn Upshaw crée cette beauté, dont la musique la pare, avec son chant, avec ses gestes, avec cette façon d'attendre, montant et descendant l'escalier de sa tour, comme on s'élève, pour ensuite mieux descendre en soi-même. Et les choeurs si présents dans l'ouvrage, Sellars les a placés hors de l'action comme pour conserver leur solitude entière aux protagonistes, dans leur lente approche, l'un vers l'autre.
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Felsenreitschule, Salzburg Le 15/08/2000 Antoine Livio (1931-2001) |
| Création de l'Amour de loin de Kaija Saariaho au Festival de Salzbourg | L'amour de loin de Kaija Saariaho
Sur un livret d'Amin Maalouf
SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg
Choeur Arnold Schoenberg
Son : IRCAM.
Direction musicale : Kent Nagano
Mise en scène : Peter Sellars
DĂ©cor : George Tzypin
Costumes : Martin Pakledinaz
Dramaturgie : Alain Patrick Olivier
Avec Dawn Upshaw (Clémence, Comtesse de Tripoli), Dagmar Peskova (le Pèlerin), Dwayne Croft (Jauffré Rudel, Prince de Blaye et Troubadour).
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