C'est toujours le même dilemme. Pour marquer le coup d'un anniversaire, les organisateurs se croient obligés de mettre l'accent sur l'événementiel. Souvent, malheureusement, c'est la facilité des symboles qui l'emporte sur l'authenticité de la réflexion artistique. Le festival de La Roque d'Anthéron n'a pas fait exception à cette fâcheuse règle en programmant en clôture de manifestation un vingtième anniversaire autour de vingt pianistes et de vingt oeuvres retranscrites selon des critères pour le moins discutables. Jamais on n'aura en tout cas mieux saisi l'absurdité de la multiplication des claviers qu'à cette occasion. La simple " Lettre à Élise " de Beethoven, jouée en milieu de parcours par une Anne Quéffélec toute délicate dans sa solitude incongrue, a redonné à l'auditeur lassé par tant de doigts décalés et sans couleur, le goût du son et de la simple musicalité. C'est dire que la démonstration a agi à contre sens, laissant le mélomane sur sa faim de musique lors d'une soirée où l'abondance de musiciens n'aura pas comblé l'insuffisance musicale de l'enjeu.

Les seuls ravis de l'histoire furent les pianistes eux-mêmes, regroupés entre amis dans cette ambiance particulière que les retrouvailles à plusieurs mains ou claviers peuvent offrir d'amusement et de complicité. La cohorte de pianistes a traversé ce parcours hétéroclite sous la direction à la légèreté d'haltère de Marc-Olivier Dupin, dont le Tango-hésitation pour 19 paires de mains a ravi l'assemblée. On oubliera vite l'Ouverture des Maîtres chanteurs de Wagner à 13, le finale de la troisième symphonie de Saint-Saëns à 4, la Toccata et fugue de Bach à 12 ou la Berceuse de Chopin à 9. Entre autres. Restera dans la mémoire des mélomanes venus en masse à ce rendez-vous, l'apparition d'un demi-queue porté en triomphe sous ses vingt bougies, traversant la scène à dos d'hommes. Ce symbole-là avait le mérite de rappeler qu'en définitive, à La Roque, anniversaire ou pas, c'est bien le piano qui reste le roi incontesté.