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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Reprise de Siegfried de Wagner dans la mise en scène de Günter Krämer et sous la direction de Philippe Jordan à l’Opéra de Paris.
Ring Bastille 2013 (3) :
Sans grand changement
Mise en scène de Günter Krämer inchangée, toujours inégale et frustrante, partition magnifiée par une équipe cohérente sous la baguette du directeur musical de la maison Philippe Jordan, la deuxième journée du Ring de Wagner revient à l’Opéra de Paris et s’y inscrit plus en soirée de répertoire qu’en événement majeur.
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Autant Güther Krämer a remanié sa mise en scène de la Walkyrie en profondeur le mois dernier, autant celle de Siegfried reste telle qu’on l’avait découverte en 2011. I lourd témoin d’un Regietheater bien usé et disparate, II nettement plus poétique malgré une plongée dans la critique sociale un peu saugrenue à propos de Fafner, III d’abord emporté puis serein.
Mais ce sont surtout les images qui avaient créé l’adhésion, et l’emportent encore, dans leur simplicité et leur beauté – un fond noir pour les confrontations majeures de Wotan à Mime puis à Siegfried, de Siegfried à Mime, un double tulle peint de riantes futaies, une sombre salle de lecture en miroir où des clones d’Erda lisent en braille des textes morts.
Ou bien dans la magie de leurs éclairages, signés Diego Leetz, comme pour le prélude du II, où une cohorte d’hommes de main, nus et peints, vident des caisses d’armes de la fabrique Rheingold (le grand capitaliste Fafner financerait donc le trafic d’armes ?) en longues marches transversales dans d’admirables pénombres jaunes et vertes. Anachronique, mais superbe.
Et là demeure la problématique de cette production : on admire l’élégance et l’imaginaire visuel de Jürgen Bäckmann, mais on s’interroge sur la mise en scène foutraque qui s’y loge à grands coups d’incohérence, d’analyses simplistes et de direction d’acteurs au premier degré.
La voir pour la seconde fois en souligne encore plus l’artifice, les impasses, les refus de traiter les vrais problèmes scéniques du Ring – pas de dragon, pas de feu, pas d’oiseau, sinon un gentil double de Siegfried préado qui y retrouve une innocence bien lourdaude. Des idées parfois bonnes, excellentes plus rarement mais inabouties, inexploitées, menées à rien, ou plutôt à d’autres, sans logique, sans continuité, à l’inverse du discours wagnérien, qui n’entasse jamais mais transforme en permanence.
On ferme donc souvent les yeux sur le I, toujours aussi moche en fait dans sa volontaire tentative de dérision permanente, on les garde ouverts sur la suite, et on trouve alors le grand escalier final moins poétique – à force de le voir trop désormais – qu’à sa première découverte. Bref, on s’est déjà habitué, redoutable constat critique !
Reste le jeu de piste des changements de détail, dont un, majeur celui-là , le costume du héros, qui a troqué incongrue salopette rayée de machiniste américain des années 1930 contre veste et pantacourt noirs, en gardant ses dreadlocks. Cela donne un côté néo-urbain branché qui sied nettement mieux au physique de Torsten Kerl, mais ne convient guère au personnage rustique et simple qu’il est encore.
Mais on est là aussi pour écouter, et sur ce point, on aura pris bien du plaisir. À Torsten Kerl d’abord, moins percutant que dans le récent Rienzi toulousain – taille de salle oblige –, mais plus investi qu’à sa prise de rôle très prudente. On lui sait gré de nuancer son héros comme peu l’ont fait, et d’y montrer toujours une musicalité confondante, qui fait de lui un des rares grands Siegfried de l’époque, après tant de braillards et de dépassés, même si la salle ne lui fait pas la fête méritée.
On retrouve les atouts de la première série, comme le Mime débridé de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, l’Alberich prenant de Peter Sidhom, l’Oiseau d’Ellena Tsallagova, toujours délicat, et l’Erda magnifique de Qiu Lin Zhang.
Et l’on constate qu’Egils Silins trouve bien mieux ses marques en Wanderer, qui demande moins d’introversion, de contenue, de déchirure intérieure que le Wotan de la Walkyrie, en lui offrant une vocalité en grande forme et une présence forte. Que décidément les excellents Fafner sont nombreux, et qu’avec Peter Lobert, la liste s’est allongée d’une basse majuscule de plus.
Et que pour la partie la plus difficile à tenir en matière d’aigus du rôle de Brünnhilde, Alwyn Mellor est une digne interprète, en rien marquante mais plus qu’honorable, même si l’extrême aigu est de fait crié, et si sa petite robe mal coupée de Walkyrie est toujours impossible.
On retrouve enfin avec un plaisir réel l’orchestre hédoniste de Philippe Jordan. Peu à peu, l’impulsion dramatique s’installe, mais c’est avant tout sa volonté de formalisation esthétique qui reste une grande leçon. On n’a ainsi pas souvenir d’avoir entendu pour l’introduction du II un galbe sonore aussi raffiné et aussi fascinant de pur jeu des masses. C’est lui qui triomphe une fois de plus dans ce Siegfried avant tout musical et imagé.
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