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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Don Giovanni de Mozart dans une mise en scène de Jean-Yves Ruf et sous la direction de Gérard Korsten à l’Opéra de Dijon.
Pique-nique au cimetière
Un orchestre star dans la fosse, un homme de théâtre pédagogue à la mise en scène et une distribution de jeunes chanteurs menés par le baryton français qui monte, le nouveau Don Giovanni de l’Opéra de Dijon mise sur un de ces alléchants cocktails d’expérience et de fraîcheur dont son directeur Laurent Joyeux a le secret. Sans emporter l’adhésion.
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Dans ses propos recueillis pour le programme plus encore que dans sa note d’intention, Jean-Yves Ruf expose sur Don Giovanni – mythe et opéra confondus – des idées sinon neuves, du moins pertinentes et étayées. Mais expliquer ses choix est une chose, leur faire passer l’épreuve du plateau en est une autre – le Così fan tutte selon Marcial di Fonzo Bo présenté la saison passée à l’Auditorium de Dijon souffrait d’ailleurs du même défaut, qui le condamnait à un certain hermétisme dramaturgique.
Quoi de mieux qu’un décor unique pour résoudre l’invraisemblable succession de lieux du livret de Da Ponte ? Pourtant, ce no man’s land entre chien et loup, « pente herbeuse […] propice aux rencontres hasardeuses », le metteur en scène ne parvient pas à le tourner à son avantage : pas assez réaliste pour que l’action soit crédible – celle du I plus que celle du II, dont la chasse à l’homme s’en accommoderait si Christian Dubet l’éclairait avec davantage d’imagination –, mais insuffisamment métaphorique pour faire sens sur la distance, et au-delà de quelques évidences.
Et bien qu’il pointe « le risque de tomber dans la simple tradition de la comédie », en l’occurrence « encore plus vieille que l’invention du tournebroche » – ainsi qu’elle est désignée dans le prologue du Convitato di pietra de Bertati, principale source de Da Ponte –, son Don Giovanni nomade dans une société sédentaire, ce désaxé peut-être clandestin qui, de la transgression à la peur de l’autre, renvoie ses semblables à leurs démons, demeure prisonnier des conventions théâtrales. Au point qu’il est difficile de ne pas se demander si Ruf est un mauvais directeur d’acteurs – à moins que les aptitudes scéniques limitées des chanteurs le fassent passer pour tel…
À commencer par le rôle-titre, dont la belle gueule hollywoodienne ne compense pas un jeu dont la maladresse gesticulante vire au Grand-Guignol dans la scène du souper – un pique-nique en vérité –, que la basse vacillante du Commandeur sans impact physique ni sonore de Timo Riihonen achève de réduire à néant. D’autant que la somptuosité du timbre d’Edwin Crossley-Mercer conforte son chant dans un narcissisme nonchalant qui prive la ligne de ressort, notamment dans une sérénade allégée au prix d’une intonation fluctuante.
Ténor fluet mais délié, Michael Smallwood est, comme tant d’autres avant lui, un Ottavio emprunté dans son costume mal coupé, tandis que la Donna Anna désespérément cruche de Diana Higbee, dont on a pu constater une fois le rideau tombé que la grossesse n’était pas due à une mauvaise idée de Regietheater, s’effondre dès Or sai chi l’onore, soprano à l’aigu aigrelet et à l’agilité forcée, à peine une Zerlina en somme.
Camille Poul y fait du reste belle impression, fluide et pimpante à défaut de conférer à la paysanne la touche d’ambigüité qui est l’avantage des voix plus sombres et charnues. Toujours flanquée de sa femme de chambre – celle-là même sur qui son époux a des vues –, Donna Elvira bénéficie de l’étoffe veloutée et de la noble stature de Ruxandra Donose. Mais même délestée des écarts de Mi tradi par la volonté du metteur en scène de s’en tenir à la version de Prague, la tessiture s’avère un peu haute pour la mezzo roumaine, qui dans un récent Farnace de Vivaldi s’épanouissait sereinement dans un rôle habituellement dévolu aux contraltos.
Ă€ l’instar de David BiĹľĂc, mais avec un surcroĂ®t de distinction dont ne peut se targuer son prĂ©dĂ©cesseur Ă l’Atelier Lyrique de l’OpĂ©ra de Paris, Damien Pass mĂ»rit en Masetto le formidable Leporello qu’il sera certainement bientĂ´t. Josef Wagner est en tout cas l’un des meilleurs du moment, qui grâce Ă sa verve terrienne et un timbre qui, s’il ne dĂ©borde pas de couleurs, frappe par la nettetĂ© de ses contours, domine aisĂ©ment le plateau.
C’est toutefois dans la fosse qu’aurait dû se trouver la star de cette production. Non pas le chef, mais les musiciens du Chamber Orchestra of Europe, formation d’élite choisie par Claudio Abbado pour graver Don Giovanni en 1997. Assez virtuose pour ne pas le laisser paraître, le « meilleur orchestre de chambre du monde » selon BBC Two Television, n’en est pas moins piégé que d’autres par l’acoustique à double tranchant de l’Auditorium de Dijon, qui amplifie autant qu’elle dilue, et ne s’élève jamais au-dessus d’un son clair et lisse.
Du fait peut-être de sa position de primus inter pares face à une phalange dont il fut le Konzertmeister durant près de dix ans, la direction de Gérard Korsten n’impose rien et n’est que rarement traversée d’éclairs de vivacité. C’est trop peu pour tendre l’arc dramatique, et surtout adhérer à ce « temps syncopé, qui semble fuir en avant, un temps de l’irrémédiable » revendiqué par le metteur en scène.
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