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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Ravel de Jean Echenoz dans une mise en scène d’Anne-Marie Lazarini au Théâtre Artistic Athévains, Paris.
Solitude du coureur de fond
Le roman des dix dernières années de la vie de Maurice Ravel à travers le regard de Jean Echenoz. C’est à un portrait imaginaire, sans pléonasme malgré le fait de porter à la scène un texte parlant lui-même de musique, basé sur l’érudite biographie de Marcel Marnat, que l’on était convié au Théâtre Artistic Athévains, dans le onzième arrondissement de la Capitale.
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Évoquer Ravel sans presque jamais entendre sa musique sauf en filigrane était un pari osé. Le magnifique pianiste compositeur qu’est Andy Emler a relevé ce défi avec des à la manière de qui scandent délicieusement le spectacle. Il joue un piano bleu, ressemble à Albéniz sans les moustaches. Il faut avoir l’oreille bien affutée pour retrouver dans ses compositions libres des formules ravéliennes. Chemin faisant, on reconnaît tout de même des effluves de Ma mère l’Oye, d’Ondine, ou du Quatuor à cordes…
Emler navigue entre pulsations jazzy et harmonisations inspirées par son héros. L’atmosphère est donc ravélienne, c’est-à -dire raffinée, et l’émotion de ce spectacle est très différente de celle de la lecture d’Echenoz qu’Anne-Marie Lazarini a suivi à la lettre dans sa mise en scène.
Echenoz est un écrivain de l’épure. De roman en roman, il opère comme une glaciation des mots qui les rendent indispensables et rapprochent ses textes d’une poésie en prose issue de Ponge et plus lointainement de Baudelaire. Ravel (Éditions de Minuit, 2006) et son dernier roman, 14 (Éditions de Minuit, 2012), en sont les parfaites illustrations. Son écriture dense réserve surprises et points de vue orignaux. Elle répond parfaitement à l’esthétique ravélienne qui crée l’émotion par la précision du langage.
On pouvait craindre que la mise en voix d’un texte parlant musique ne surajoute au théâtre une dimension de pléonasme contrariant et la littérature et la musique. Il n’en est rien grâce à une scénographie minimaliste et une direction d’acteurs raffinée.
Le texte est dit à trois voix. D’abord il y a Ravel campé par Michel Ouimet qui lui donne une présence mélancolique et semble être perdu dans une délectable distanciation. On parle de lui autour de lui, il s’en fiche un peu. C’est un livre sans dialogue qu’on lit sur scène : on parle donc au style indirect et cela donne un caractère un peu guindé que n’est pas le livre d’Echenoz ni la musique de Ravel lorsqu’elle est bien jouée. Mais on s’habitue vite.
Les deux autres voix sont une narratrice campée par Coco Felgeirolles, réincarnation de Madeleine Renaud qui donne vie tour à tour à Hélène Jourdan-Morhange et à Marguerite Long : un régal de diction et de gestes millimétrés. Le narrateur, Marc Shapira, grand gaillard plein de santé, antidote au grincheux Ravel, joue tous les rôles masculins autour du héros.
Tous ont une diction parfaite (ils prononcent les e muets mais, tout de même, ne roulent pas les r), tous pratiquent le transformisme à la perfection : on change de costume sur scène, on passe de narrateur à personnage en un instant. La scénographie de François Cabanat adopte la couleur bleue pour tous les accessoires, y compris le piano à queue comme pour nous installer dans une rêverie éveillée. Ravel et Echenoz y trouvent leur compte. Que rêver de mieux ?
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