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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Reprise de Pelléas et Mélisande de Debussy dans la mise en scène de Pierre Audi et sous la direction de Ludovic Morlot au Théâtre de la Monnaie, Bruxelles.
L’homme qui en savait trop
Plus que sur le mystère éventé du décor d’Anish Kapoor, l’intérêt de la reprise de cette production de Pelléas et Mélisande repose sur une double distribution où les Pelléas de Stéphane Degout et Yann Beuron brillent de feux antagonistes. Nouveau chef permanent de l’Orchestre de la Monnaie, Ludovic Morlot réussit ses débuts dans la fosse du théâtre bruxellois.
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Théâtre royal de la Monnaie, Bruxelles
Le 18/04/2013
Mehdi MAHDAVI
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D’où viennent ces voix surgies de l’obscurité ? De la première scène de Pelléas et Mélisande de Maeterlinck, que Debussy n’a pas mise en musique. Ce sont celles des servantes du château, pour ainsi dire jumelles des épouses de Barbe-Bleue, découvrant soudain la clarté. L’une d’entre elles ne se prénomme-t-elle pas Mélisande ? Ainsi les premières questions de Golaud trouvent-elles des réponses.
Mais la singularité de la pièce, son charme que d’aucuns diront désuet ne résident-ils pas justement dans ses énigmes ? Pelléas est bien l’histoire d’un homme égaré dans sa forêt intérieure, qui cherche à tout savoir, mais auquel rien ne sera révélé. Dès lors que Golaud sans cesse épie, voit donc et entend tout, Pierre Audi fait fausse route.
L’insaisissable objet posé par Anish Kapoor sur le plateau tournant de la Monnaie n’avait pourtant pas vocation, loin s’en faut, à dissiper les brumes de l’indicible royaume d’Allemonde. Pour radiographier les personnages, Pierre Audi invite le spectateur à pénétrer dans ce décor, qui serait à la fois « le ventre d’une femme enceinte, un fœtus, un nid d’amour, une salle de torture […] une maison, une chambre, un œil humain. Et un symbole sexuel. » Ou peut-être encore le pavillon d’une oreille.
Non pas simultanément, en insistant sur une polysémie qui reflèterait l’écriture symboliste de Maeterlinck, mais successivement, selon un traitement quasi réaliste – il s’agira sans conteste d’une fontaine, d’une tour, de souterrains…–, qui sous-tend une direction d’acteurs assez banalement psychologique du drame – quid dès lors de la calvitie plus disgracieuse qu’intrigante de Mélisande ? C’est le même piège dans lequel le metteur en scène avait sauté à pieds joints en octobre dernier au TCE dans Médée de Charpentier, annihilant les prétentions de la scénographie de Jonathan Meese à emprunter « un chemin inédit et radical ».
Quoi qu’il en soit, cette reprise valait surtout pour sa double distribution. Suite à une blessure survenue le dernier jour des répétitions, Sandrine Piau en a malgré elle bouleversé le parallélisme : non plus un baryton et une soprano alternant dans les rôles-titres avec un ténor et une mezzo, mais deux voix graves avec deux voix aiguës. Encore que…
Effilant avec art un instrument qui pourrait être pâteux – à la limite celui de Geneviève –, Monica Bacelli sait instiller le trouble, qui plus est dans un idiome limpide. Sandrine Piau est paradoxalement moins intelligible, il est vrai condamnée à une position peu confortable qui lui interdit la liberté, l’épanouissement du geste. Sa Mélisande en paraît tendue, parfois forcée, univoque même comparée à la chair diaphane de sa consœur italienne.
Au contrôle absolu de Stéphane Degout, qui réitère, plus clair, moins large et opératique donc qu’à la Bastille, son inégalable leçon de chant français, Yann Beuron oppose des élans plus spontanés, une fragilité aussi, jusque dans l’aigu de son ténor assombri, et un verbe moins châtié sans doute, mais plus naturel et frémissant.
D’un Golaud à l’autre, aucun ne convainc pleinement. Dietrich Henschel est même carrément disqualifié par cette diction ampoulée et caricaturale qui évoque les pires heures de Jessye Norman, cette couleur rêche et fabriquée, cet aigu court et asséché. Il ne manque en revanche à Paul Gay qu’un peu plus de tenue – de la ligne et de la diction – pour s’imposer comme l’un des grands titulaires actuels du rôle. Car il en a déjà la stature, les fulgurances, et surtout le timbre, sur lequel passe plus d’une fois l’ombre de José Van Dam.
Bien qu’il ne soit guère plus qu’une silhouette, le médecin de Patrick Bolleire vaut mieux que les deux Arkel, puisque ni l’un, trop vieux – et exotique, Frode Olsen –, ni l’autre, trop jeune – et monochrome, Jérôme Varnier – ne parviennent à faire entendre « cette tendresse désintéressée, prophétique, de ceux qui vont bientôt disparaître » qui tourmenta tant Debussy. Quant à Sylvie Brunet-Grupposo qui, aussi surprenant que cela puisse paraître, prêtait l’immensité contenue de son mezzo d’un autre temps à Geneviève pour la première fois, elle lit sa lettre aussi simplement et – presque – sans nuance que le recommande le compositeur.
Pour ses débuts dans la fosse de la Monnaie, et face à une phalange dont il est désormais le chef permanent, Ludovic Morlot évite l’écueil consistant à dénerver la trame orchestrale par obsession de la transparence. Clé d’une lecture urgente, dont la clarté vient de la profondeur des plans sonores aussi bien que d’un geste incisif, qui maintient sans faillir un parfait équilibre avec le plateau – ce qui dans une telle acoustique est loin d’aller de soi.
Que ceux qui craignaient de voir arriver un symphoniste à la tête de l’Orchestre de la Monnaie se rassurent, un vrai chef de théâtre vient de naître. Et il faut savoir gré à Peter de Caluwe d’avoir osé ce pari risqué.
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Théâtre royal de la Monnaie, Bruxelles Le 18/04/2013 Mehdi MAHDAVI |
| Reprise de Pelléas et Mélisande de Debussy dans la mise en scène de Pierre Audi et sous la direction de Ludovic Morlot au Théâtre de la Monnaie, Bruxelles. | Claude Debussy (1862-1918)
Pelléas et Mélisande, drame lyrique en cinq actes et douze tableaux (1902)
Poème de Maurice Maeterlinck
Chœurs et Orchestre symphonique de la Monnaie
direction : Ludovic Morlot
mise en scène : Pierre Audi
décors : Anish Kapoor
costumes : Patrick Kinmonth
Ă©clairages : Jean Kalman
préparation des chœurs : Martino Faggiani
Avec :
Stéphane Degout / Yann Beuron (Pelléas), Dietrich Henschel / Paul Gay (Golaud), Frode Olsen / Jérôme Varnier (Arkel), Monica Bacelli / Sandrine Piau (Mélisande), Sylvie Brunet-Grupposo (Geneviève), Valérie Gabail (le petit Yniold), Patrick Bolleire (un médécin), Alexandre Duhamel (un berger). | |
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