Parmi les jeunes formations que le festival de Deauville, vivier de talents, révèle grâce à l’inlassable qualité de dénicheur de son directeur Yves Petit de Voize avec l’appui de la Fondation Singer-Polignac, le Trio des Esprits était très présent lors du week-end de clôture. Ce n’est pas faire injure à cette jeune formation que d’espérer qu’elle améliore principalement sa sonorité tant les qualités fondamentales à un ensemble de musique de chambre sont déjà réunies chez ces trois musiciens.
Le fragile équilibre si délicat à obtenir est déjà bien présent, ainsi que la cohésion et le fondu des pupitres. Formé de Mi-Sa Yang au violon, Victor Julien-Laferrière au violoncelle et Adam Laloum au piano, il a assuré la base du concert du jeudi de l’Ascension retransmis en direct sur France Musique qui consacrait une journée entière au Festival.
Dans l’impeccable acoustique de la salle Élie de Blagnac qui, rappelons-le, n’a pas avec sa fonction de lieu de présentation et de vente des poulains nés dans l’année, vocation d’y écouter de la musique, le jeu un peu crispé de la violoniste coréenne sonne souvent trop dur avec des attaques brusques et des phrasés trop raides pour mettre en valeur une œuvre aussi difficile à monter que le Trio KV 502 de Mozart qui avec ses nombreuses reprises et redites demande plus de couleurs et de nuances.
En revanche, la passionnante et originale Kammersonate pour trio avec piano, œuvre de jeunesse de Hans Werner Henze, convient mieux à l’enthousiasme que mettent ces trois jeunes musiciens à participer au projet artistique du Festival de présenter des œuvres de trois musiciens disparus l’an dernier (Eliott Carter et Jonathan Harvey étaient les deux autres).
De Harvey, violoncelliste de formation, Yan Levionnois faisait découvrir les Three Sketches pour violoncelle seul (1989), esquisses pour son Concerto pour violoncelle. Œuvre ébouriffante de difficultés et remplie de pièges techniques dispersés dans une écriture tout à fait originale, elle parle un langage singulier gardant toujours le cap d’une narration mélodique. On y entend pour la première fois un instrumentiste hyper doué et rompu à ces exercices de voltige dont l’objectivité et la sonorité font souvent penser à un grand aîné très récemment disparu, le violoncelliste hongrois János Starker.
Le meilleur sans conteste de ce dernier weekend, et cela malgré la concurrence des aînés du concert de clôture, est le chef-d’œuvre absolu que représente le Quintette pour piano et cordes op. 44 de Robert Schumann à qui le Trio Les Esprits enrichi de Guillaume Chilemme au violon et Marie Chilemme à l’alto donne son irrésistible fougue, mené par le piano directeur d’Adam Laloum chez qui on souhaiterait souvent que la sonorité s’exprime avec plus de poids et de projection mais qui est déjà, avec toutes les qualités pianistiques requises, un formidable pianiste chambriste.
Ces qualités se retrouvent le dernier soir quand le trio se mesure à une œuvre beaucoup plus compromettante du répertoire, le Sixième Trio op. 70 n° 2 de Beethoven (pendant moins célèbre de celui nommé les Esprits) où les excellents Julien-Laferrière et Laloum, dans leurs efforts pour nuancer les phrasés, se heurtent trop souvent à la dureté du jeu de leur partenaire violoniste.
Rien de tel et au contraire mais respect mutuel des partenaires entre eux pour le très original Quintette pour clarinette, cor, violon, violoncelle et piano de Ralph Vaughan Williams qui, avec ses teintes de romantisme attardé, offre un détonant mélange d’influence de musique jazzy et même populaire avec une combinaison instrumentale pour le moins inhabituelle.
Le concert du samedi et le Festival s’achevaient dans la cour des grands dans l’ampleur sonore du Quatuor pour piano et cordes op. 60 de Brahms pour lequel Renaud Capuçon avait réuni autour de lui deux partenaires aux talents et aux instruments rivalisant avec les siens : Adrien La Marca, alto et au violoncelle le très impressionnant Edgar Moreau (lauréat des Concours Tchaïkovski et Rostropovitch).
Hélas, et illustration de plus de la grande fragilité et difficulté de l’exercice chambriste, pour certains le but suprême de l’exercice musical, le pianiste Guillaume Vincent n’est pas à la hauteur de l’ensemble, sans véritable sonorité, ni projection, effleurant d’un jeu pas toujours bien assuré ce que Brahms a mis d’intensité directrice dans cette partie de piano qui doit relancer sans cesse la sonorité des cordes.
Heureusement, ce soir-là, ce n’était, grâce aux qualités propres de ces cordes exceptionnellement réunies selon les principes mêmes de ce formidable festival, qu’un simple incident de parcours.
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