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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Mârouf, savetier du Caire de Rabaud dans une mise en scène de Jérôme Deschamps et sous la direction d’Alain Altinoglu à l’Opéra Comique, Paris.
Un savoureux savetier
Un régal que Mârouf, savetier du Caïre ! L’opéra-comique d’Henri Rabaud (1873-1949) créé salle Favart le 15 mai 1914 y revient quatre-vingt-dix-neuf ans et dix jours plus tard. Il est vivifié par une succulente mise en scène de Jérôme Deschamps et dynamisé par le chef Alain Altinoglu à la tête de l’Orchestre philharmonique de Radio France.
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Jérôme Deschamps n’a rien perdu de son mordant satirique et, aux dépens de l’orientalisme tellement en faveur en France à la veille de la Première Guerre mondiale, recrée une œuvre de charme et de naïveté comme on en voit dans les livres d’enfants. Ainsi les décors grandissent-ils à mesure du mensonge et du bluff de Mârouf. On pense au nez de Pinocchio !
La mise en scène et les costumes sont d’une drôlerie bouffonne : le vizir tatillon est aussi rusé que le renard juché sur son bonnet. Le Kâdi porte un turban surmonté d’une balance de la justice. Les coiffures rivalisent de cocasserie, les unes en forme de théière, d’autres d’aubergine et le pâtissier ami de Mârouf, arbore une toque surmontée d’énormes pommes d’amour. Les mamelouks semblent sortir d’une BD, les odalisques d’un tableau d’Ingres. Irrésistibles sont les deux comédiens travestis en ânes. C’est pimpant et jamais vulgaire.
Mârouf, savetier du Caire, est tiré d’un des derniers Contes des mille et unes nuits. C’est l’histoire d’un pauvre savetier. Maltraité par sa femme, il fuit sur une felouque qui fait naufrage avant d’être recueilli par un riche commerçant en qui il reconnaît un ami d’enfance. Celui-ci le fait passer aux yeux du sultan pour un riche marchand qui attend une somptueuse caravane. Elle est l’Arlésienne de l’histoire.
Malgré l’incrédulité du grand vizir, le sultan fait épouser sa fille à Mârouf qui en tombe amoureux. Il lui révèle l’imposture et craignant la colère du sultan, ils s’enfuient. Ils trouvent l’hospitalité dans le désert auprès d’un vieux fellah. En labourant un champ, Mârouf découvre une dalle sous laquelle se cache un fabuleux trésor digne d’Ali Baba : la caravane est reconstituée, le sultan ravi et le vizir bastonné…
Dans toutes ces péripéties, dans l’irruption du merveilleux, la musique néo-classique de Rabaud est pleine de couleurs orientales irisées. Pas un instant de répit. Directeur musical à l’Opéra de Paris, Rabaud fait une sorte de synthèse des grands musiciens : Ravel dans la scène du harem, l’Oiseau de feu de Stravinski lors de la danse russe. Plus amusante encore, dans la conversation du pâtissier et de Mârouf à propos de sa calamiteuse femme, on reconnaît des harmonies du Tristan et Isolde de Wagner : l’amour impossible.
Ces collages, ces références, ces évocations font de Mârouf une œuvre difficile, pleine de pièges que l’Orchestre philharmonique sous la baguette précise, lyrique et enjouée d’Alain Altinoglu surmonte allégrement. Entre l’orchestre, le chef de 38 ans et le plateau, on sent une cohésion totale. Elle est certainement due au fait que beaucoup ont fait leurs études au Conservatoire de La Villette, à peu près à la même époque.
Parmi les chanteurs, le baryton Jean-Sébastien Bou (Mârouf) poursuit une carrière impressionnante d’originalité et de réussite. Il a été remarqué récemment à Lyon dans le rôle-titre de Claude, l’opéra de Thierry Eschaich et Robert Badinter. Nathalie Manfrino est une délicieuse Princesse Saamcheddine, Franck Leguérinel un noir Vizir.
Quant à la méchante Fattoumah, femme de Mârouf – la mezzo Doris Lamprecht – elle est d’une hystérie fulgurante. Les autres rôles sont aussi convaincants comme Nicolas Courjal (le sultan) et Frédéric Goncalvés (Ali). Dans la distribution figurent quatre jeunes chanteurs qui sortent de la première Académie de l’Opéra Comique et prennent un bel envol.
Comme l’histoire, la musique fait elle aussi rire. Sans doute cela explique le succès de Mârouf à l’Opéra Comique puis à l’Opéra Garnier et ensuite dans tous les théâtres de région jusque dans les années 1950. Certes, après la Seconde guerre, Rabaud fut moins joué. Directeur du Conservatoire en 1940 sous le gouvernement de Vichy, Rabaud communiqua spontanément aux autorités nazies les noms des enseignants et des élèves juifs.
Fantaisie échevelée, Mârouf, le soir de la première représentation à l’Opéra Comique, avait attiré le Premier Ministre et son Ministre du Budget : l’un et l’autre chercheraient-ils un bon génie qui, comme le fellah, leur révèlerait la cachette du trésor dont ils ont tant besoin ?
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Opéra Comique - Salle Favart, Paris Le 25/05/2013 Nicole DUAULT |
| Nouvelle production de Mârouf, savetier du Caire de Rabaud dans une mise en scène de Jérôme Deschamps et sous la direction d’Alain Altinoglu à l’Opéra Comique, Paris. | Henri Rabaud (1873-1949)
Mârouf, savetier du Caire, opéra-comique en cinq actes (1914)
Livret de Lucien NĂ©poty
Orchestre philharmonique de Radio France
direction : Alain Altinoglu
mise en scène : Jérôme Deschamps
décors : Olivia Fercioni
costumes :Vanessa Sannino
Ă©clairages : Marie-Christine Soma
Avec :
Jean-Sébastien Bou (Mârouf), Nathalie Manfrino (Princesse Saamcheddine), Nicolas Courjal (le Sultan), Franck Leguérinel (Le Vizir), Frédéric Goncalvès (Ali), Doris Lamprecht (Fattoumah), Christophe Mortagne (Le Fellah / Premier marchand), Luc Bertin-Hugault (Ahmad), Geoffroy Buffière (Second marchand / Premier mamelouk) Olivier Déjean (le Kâdi), Patrick Kabongo Mubenga (Chef des marins / Ânier / Premier muezzin / Premier homme de police), Ronan Debois (Second homme de police), Safir Behloul (Second muezzin). | |
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