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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production du Barbier de Séville de Rossini dans une mise en scène de Jean-François Sivadier et sous la direction d’Antonello Allemandi à l’Opéra de Lille.
Figaro mène la danse
Un plateau nu, quelques chaises, une demi-douzaine de stores et des personnages en quête d’acteurs, le nouveau Barbier de Séville de l’Opéra de Lille porte indéniablement la griffe de Jean-François Sivadier. De là à fustiger un système ? Plutôt une distribution vocale qui, à l’exception du Figaro tourbillonnant d’Armando Noguera, renvoie aux heures les plus oubliables du chant rossinien.
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La tentation est grande, en découvrant la nouvelle production du Barbier de Séville à l’Opéra de Lille, de dénoncer un système Sivadier – d’aucuns n’ont d’ailleurs pas manqué d’y succomber. Plus que d’autres, pourtant plus immuables dans leurs choix esthétiques ou leur grille de lecture dramaturgique, le metteur en scène français s’expose à cette critique, dont le public au demeurant n’a cure, qui rit comme rarement face au chef-d’œuvre buffo de Rossini.
Parce que son art découle du plateau nu, et qu’il en exhibe volontiers les ficelles, à commencer par ce trois fois rien – quatre chaises, cinq stores, à peine plus d’accessoires, mais certainement pas de clavecin pour la leçon de chant – à partir duquel Alexandre de Dardel élabore peu un peu un décor, qui dure à peine le temps de la représentation. Mais après tout, un théâtre en train de se faire ne vaut-il pas mieux que pas de théâtre du tout ?
Léger, ludique, parfois poétique, ce barbiere censément di qualità n’exige rien de plus que de l’imagination. Ni échoppe, ni balcon, mais des tréteaux de Commedia dell’arte, quelques pas de danses mâtinés de flamenco, l’esprit du cabaret pour la succession des numéros, une grosse pincée d’absurde et une belle part de rêve. Et puis du rythme, encore du rythme, toujours du rythme.
Sivadier précipite ses personnages sur la piste aux étoiles. Et c’est ainsi que, ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre, il parvient à recréer l’illusion de l’improvisation. Le I passe comme un tourbillon, jusqu’au finale qui soudain peine à trouver ses marques dans l’espace et la musique même. Mais le II où « tout recommence, comme au début, avec variantes » tourne justement en rond, les gags s’accumulant avec perte et fracas, sans plus vraiment surprendre. Est-ce la folie qui n’est pas assez organisée, ou l’organisation qui n’est pas assez folle ?
Plutôt la distribution vocale qui ne soutient pas suffisamment l’attention. C’est d’autant plus flagrant que dans la fosse, malgré un Orchestre de Picardie qui, sans avoir à en rougir, n’est pas le plus idiomatique des instruments, Antonello Allemandi déploie un dynamisme imperturbable, ponctué d’indispensables élans de fantaisie. En théorie, la scène lilloise aligne pourtant un bel ensemble de voix jeunes, claires et agiles – le Barbier n’exige là encore rien de plus.
Ainsi, faire la chattemite ne pose a priori aucun problème à Eduarda Melo. Mais la Rossini renaissance, dont certains préceptes ont été malheureusement trop vite oubliés, la disqualifie d’emblée : ce timbre sans charme ni corps, jusqu’à disparaître dans Dunque io son, renvoie cinquante ans en arrière, à l’époque où Rosina était l’apanage des rossignols à l’aigu vrillé. Qu’importe la silhouette, quand une myriade de mezzos à peine plus potelées démontrent dans la roulade autant que l’œillade un abattage infiniment plus galbé.
Joint, dreadlocks et pyjama, Adam Palka traîne son Basilio incolore, inodore et sans saveur – ni celle, chevrotante, des vétérans se délectant d’un dernier tour de piste, ni celle, sonnante et trébuchante, des jeunes basses planquées dans l’attente des emplois de la maturité. Tiziano Bracci fait quant à lui un Bartolo sans âge, en voix désespérément courte et terne, et cependant assez rond pour jouer les barbons de convention, et authentiquement italien pour s’acquitter d’un sillabato décent.
Le ténor de Taylor Stayton manque certes de séduction, mais la tessiture est franche, la vocalise nette, et les maladresses – feintes ? – de l’acteur parfaitement exploitées par la mise en scène, qui (sur)joue du contraste entre Almaviva et Figaro. Plus crooner tu meurs, Armando Noguera mène la danse et tire les fils avec une banane et une patate d’enfer. Pas étonnant qu’il mette le public dans sa poche en deux temps trois mouvements, au point de lever une ola au retour de l’entracte. De quoi faire blêmir les rouges et ors de l’Opéra !
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