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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production du Vaisseau fantôme de Wagner dans une mise en scène de Florentine Klepper et sous la direction de Constantin Trinks à la Semperoper de Dresde.
Un autre rĂŞve de Senta
L’Opéra de Dresde apporte sa pierre à l’année Wagner avec une nouvelle mise en scène du Vaisseau fantôme qui creuse, comme tant d’autres, le sillon de la production mythique de Kupfer à Bayreuth, sans parvenir toutefois à convaincre pleinement. Brillante exécution musicale en revanche, menée par le deuxième chef de la maison, Constantin Trinks.
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Plus que Dresde, en mai, c’est surtout la ville de Leipzig qui a rendu le plus grand hommage pour le bicentenaire de la naissance de Wagner, avec maintes manifestations musicales, artistiques, universitaires, et même politiques. Le slogan Richard est leipzigois a d’ailleurs souligné la fierté toute nouvelle pour ce natif de la cité trop longtemps ignoré.
Dresde peut toutefois s’enorgueillir d’être la ville où Wagner est devenu Wagner (encore un slogan anniversaire…), car c’est dans la capitale saxonne qu’entre 1843 et 1849, le compositeur a acquis les connaissances philosophiques, littéraires et musicales qui devaient l’amener à révolutionner le monde lyrique.
Le premier acte de cette révolution reste le Vaisseau fantôme, entièrement écrit à Paris, et donc d’une certaine manière seul opéra parisien de Wagner, dont la première eut pourtant lieu à la Semperoper de Dresde. Lieu idéal de fait pour accueillir une nouvelle production de cet ouvrage, cent soixante-dix ans après sa création.
La mythique production psychanalytique de Harry Kupfer de Bayreuth (1978) concevait l’ouvrage comme un rêve jusqu’à la folie de Senta, dans une mise en scène phare, à l’aune de laquelle tant de nouvelles tentatives ont été mesurées depuis. Cette lecture freudienne a ainsi fait florès, avec certaines réussites indéniables (Claus Guth à Bayreuth en 2003 au premier chef), mais elle peut aussi s’avérer un obstacle.
Florentine Klepper interprète l’histoire comme une sorte de flashback de Senta à l’occasion de l’enterrement de son père. Elle revit son enfance, (d’où la présence d’une jeune Senta sur scène) pendant laquelle elle était abusée par des marins, avec la tolérance, et, pire même, à l’instigation de Daland. Pour échapper à ces traumatismes, elle rêve d’un étranger irréel qui vienne à sa rescousse, quand bien même elle aura au départ du mal à lui accorder sa confiance.
Le Hollandais, avec son aile de corbeau, représente ainsi le monde du songe, mais aussi de la mort, entre Hitchcock et Shakespeare. Senta demeurera in fine seule sur scène, avec sa valise, abandonnée de tous, prête à partir ou à mourir. Excellente idée au passage de faire se dérouler l’action sur les côtes hostiles de l’Écosse, lieu original de l’intrigue, même si l’ensemble du spectacle repose, à la manière du patchwork, sur une idée-force trop peu développée.
La partie musicale, en revanche, ne souffre aucune réserve. Georg Zeppenfeld est un grand Daland, avec son baryton élégant et harmonieux, sa diction claire et aristocratique. La Senta de Marjorie Owens n’est pas toujours stable dans le médium, mais la puissance et la clarté des appels de sa Ballade ont un éclat trop rare pour ne pas être souligné.
Will Hartmann remplace Wookyung Kim souffrant en Erik et excelle en particulier par le métal de son émission, tandis que le Pilote de Simeon Esper atteint un parfait point d’équilibre entre rayonnement et effluves somnambuliques. Enfin, Markus Marquardt, membre de la troupe depuis treize ans, interprète le Hollandais comme une figure sombre et inquiétante, mais avec un magnifique phrasé suave, dans un mélange idéal entre beauté vocale et rigueur de l’expression.
Au pupitre, Constantin Trinks mène la Staatskapelle, comme à son habitude, avec une grande sérénité, et une connaissance intime de toutes les ruptures d’une partition qui semble plus d’une fois changer de registre, au point de la transition de l’opéra conventionnel en voie au drame musical. Les transitions sont magnifiques, et la façon dont est traité le chœur des marins, avec un éclat dépassant largement le simple effet de marche souvent entendu, s’avère du grand art.
Les sonorités de la Staatskapelle sont d’une superbe homogénéité, les cors d’une douceur inouïe. Mais au final, on ne peut pas se départir de l’impression que l’on se trouve face à la seconde équipe de l’orchestre, la première étant réservée à la reprise du Chevalier à la rose et Christian Thielemann donnée en alternance. Ne serait-il pas approprié de prévoir cette dernière plutôt pour les nouvelles productions ?
Néanmoins, la direction reste excellente, et Trinks souligne de nouveau son statut de grand chef wagnérien, qui l’amènera à diriger Das Liebesverbot dans le cadre du festival off de Bayreuth en juillet, et à continuer ses engagement dresdois avec Tannhäuser la saison prochaine.
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