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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production du Nain d’Alexander von Zemlinsky dans une mise en scène de Philipp Himmelmann et sous la direction de Christian Arming à l’Opéra national de Lorraine.
Rien que le Nain
Capable du meilleur – une ineffable Ville morte de Korngold – comme du pire – une odieuse Chauve-souris de Strauss –, Philipp Himmelmann signe à l’Opéra national de Lorraine, qui une fois encore dame le pion à celui de Paris, une production exemplaire du Nain de Zemlinsky. Enfin seule, cette tragédie de l’homme laid, qui était aussi celle du compositeur, laisse abasourdi.
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Une fois encore et décidément, le dernier né, et le plus petit, des opéras nationaux, celui de Nancy, fait mieux que le géant de Paris. Non seulement pour ce qui est du Nain de Zemlinsky, dont la nouvelle production surpasse à tout point de vue le spectacle indigeste de Richard Jones et Anthony McDonald – et ces rangées d’asperges géantes – repris en janvier dernier au Palais Garnier.
Mais aussi plus généralement, et toutes proportions gardées – encore que –, en matière d’audace de programmation, tant par la confiance, et mieux, le droit à l’erreur accordés aux metteurs en scène, que grâce à la constance de son engagement en faveur d’œuvres rares, au nombre desquelles le Portrait de Mieczyslaw Weinberg, ou plus récemment Artaserse de Leonardo Vinci – pour n’en citer que deux.
Der Zwerg ne l’est pas moins, et la question qui se pose inévitablement au vu de sa brièveté est celle du couplage. Fervent défenseur de la cause de Zemlinsky, la scène nancéenne, en la personne de son directeur Laurent Spielmann, ne se l’est pas posée – en mai déjà , Iolanta de Tchaïkovski y était présentée seule, bien que menacée par un prologue absurde. Il faut s’en réjouir d’autant plus que ce titre n’est sans doute pas assez vendeur pour s’imposer comme le second volet – et donc le plus en vue – de l’un de ces diptyques de circonstance, qui souvent l’associent à l’Enfant et les sortilèges de Ravel.
Opéra en un acte certes, mais qui au fond est à peine moins long que Salomé et Elektra de Strauss, auxquelles il ne viendrait à personne l’idée d’adjoindre une autre pièce, que ce soit en guise de préambule ou d’épilogue. Par son sujet – cette tragédie de l’homme laid qui se confond, parce qu’elle en est l’exutoire désespéré, avec celle du compositeur, éperdument amoureux d’Alma Schindler, bientôt Mahler, qui le raillait sans cesse sans ménagement –, et plus encore par sa musique, si dense que Schoenberg, disciple, ami, beau-frère et premier soutien, écrivit qu’il lui fallut « plusieurs écoutes pour percevoir sa beauté et sa plénitude », le Nain se suffit à lui-même.
De la mise en scène de Philipp Himmelmann, il faudrait pouvoir ne rien dire. Non qu’elle soit, à l’instar de celle de la Ville morte, l’un de nos plus grands chocs de l’année 2010, indescriptible. Non plus que nous voulions très égoïstement garder rien que pour nous la sensation et le souvenir de ce nouveau moment de grâce. Mais tant elle est précisément, modèle de finesse et de justesse, jusque dans le moindre geste, la servante humble et poétique de l’œuvre qu’elle encadre, tel un miroir dont la vérité nue laisse pantelant.
Car il renvoie l’image de ce rêve qu’a osé faire le Nain sans savoir, puis sans croire qu’il était son propre cauchemar, dont le réveil lui sera fatal. De même que celle, terrible et salutaire en ce qu’elle confronte le spectateur à la cruauté parfois inconsciente de son regard sur la différence, de ces sourires qui défigurent ceux dont ils barrent le visage. Elle aussi sortie d’un songe, tableau d’une insouciance idyllique comme remède à l’ennui d’une réalité stricte et immaculée, l’Infante finit dès lors par n’être plus qu’une grimace.
Déjà étourdissante dans la Ville morte, Helena Juntunen fait à ce point corps avec son personnage que le public lui manifesterait presque de l’hostilité au rideau final. L’élasticité des traits, comme cette capacité, tout en étant si pleinement femme, à redevenir une enfant, reflète idéalement un timbre aux envolées limpides d’abord comme le son d’une cloche, et dont la pulpe soudain se fait corrosive. Par contraste, la Ghita d’Eleonore Marguerre n’est que lumière corsetée.
Dans le rôle-titre qui le contraint, vêtu en Grand d’Espagne du Siècle d’or, à chanter à genoux pour une illusion parfaite, Erik Fenton cultive la tragique ambivalence entre une apparence blessée et la candeur des sentiments, sombre héroïsme et galante clarté emportés par une puissance à la fois brute et fragile, qui étreint par son implacable sincérité.
Avec un sens remarquable des équilibres sonores, Christian Arming cisèle les irisations infinies d’une partition luxuriante tout en ménageant un crescendo dramatique et émotionnel soutenu. Sous cette baguette qu’il apprécie – la preuve, après tant de chefs parfois justement boudés, les musiciens se lèvent pour l’applaudir – et dans un répertoire avec lequel il a d’évidentes affinités, l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy donne le meilleur de lui-même. Der Zwerg le mérite, et surtout l’exige.
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Opéra de Lorraine, Nancy Le 27/06/2013 Mehdi MAHDAVI |
| Nouvelle production du Nain d’Alexander von Zemlinsky dans une mise en scène de Philipp Himmelmann et sous la direction de Christian Arming à l’Opéra national de Lorraine. | Alexander von Zemlinsky (1871-1942)
Der Zwerg, conte tragique en musique en un acte (1922)
Livret de Georg C. Klaren d’après l’Anniversaire de l’Infante d’Oscar Wilde
Chœur de femmes de l’Opéra national de Lorraine
Orchestre symphonique et lyrique de Nancy
direction : Christian Arming
mise en scène : Philipp Himmelmann
décors : Raimund Bauer
costumes : Bettina Walter
Ă©clairages : GĂ©rard Cleven
Avec :
Helena Juntunen (Donna Clara), Eleonore Marguerre (Ghita), Don Estoban (Oleg Bryjak), Erik Fenton (Der Zwerg), Yuree Jang (Erste Zofe), Olga Privalova (Zweite Zofe), Aude Extrémo (Dritte Zofe), Hélène Le Fu (Erste Gespielin), Catherine Lafont (Zweite Gespielin). | |
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