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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production d’Elektra de Strauss dans une mise en scène de Patrice Chéreau et sous la direction d’Esa-Pekka Salonen au festival d’Aix-en-Provence 2013.
Aix 2013 (3) :
Le soleil se lève sur Elektra
Nul metteur en scène ne suscite autant d’espoir que Patrice Chéreau. Parce que loin des relectures radicales, il révèle mieux qu’aucun autre la quintessence poétique et théâtrale des rares opéras qu’il consent à aborder ? Au Festival d’Aix-en-Provence, la noirceur extrême d’Elektra de Richard Strauss lui inspire une vision d’une humanité lumineuse.
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Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence
Le 19/07/2013
Mehdi MAHDAVI
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Bons baisers d’Eltsine
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Toujours quand le soleil se lève, elle gémit. En déplaçant le début d’Elektra du crépuscule à l’aube, Patrice Chéreau prend une liberté, une seule, avec le livret de Hofmannsthal – les autres ne sont que détails, infimes sans doute pour qui ne les considère à l’aune des évidences profondes qu’ils révèlent. Afin de retrouver la lettre, trop souvent dissimulées derrière les délires expressionnistes et les relents de cloaque. Sans circonlocutions dramaturgiques. Comme un retour aux origines de la tragédie. Parce que ces femmes sont tout sauf des monstres. Humaines, trop humaines – jusqu’à Clytemnestre, qui tranche avec l’arbre de noël claudicant et blafard imposé par la tradition –, et pour cette raison même dévorées par l’hybris.
Ce que rejette Électre en appelant Chrysothémis fille de sa mère, alors qu’elle l’est d’évidence, des nuits sans sommeil à l’idée du meurtre, bien plus que sa sœur, c’est cette part d’elle-même qui s’interdit la vie. Contraste prégnant, et que les interprètes habitent, indissociables d’un aboutissement qui touche à l’essence même de l’œuvre, entre cet être desséché, qui a renoncé à tout, et tant pleuré que sa voix n’est plus qu’un râle, un cri strident, et cette femme solide, bâtie pour porter des enfants, dont la lumière, le souffle semblent infinis.
Il n’y a aucun homme dans la maison. Ils ne sont que des ombres, des fantômes, mémoire d’un passé incarné par le Précepteur – on croirait Agamemnon ressurgi d’entre les morts pour porter le coup fatal à son assassin – de Franz Mazura, qui n’a plus guère de timbre, mais une présence et des mots. Le Vieux serviteur de Donald McIntyre en prononce moins encore, mais demeure tout aussi immense. Face à eux, et face aux femmes, Oreste n’est qu’un colosse insignifiant, une carcasse vide, bras armé d’une vengeance trop grande pour lui peut-être.
Car ce n’est plus lui, l’enfant dont rêvait Électre, insaisissable et sublime. Ce n’est pas lui qu’elle attendait dans l’au-delà forgé par son obsession. De ces yeux grand ouverts traversés de réminiscences cauchemardesques, elle le regarde mais ne le voit pas. Elle le voit enfin, mais ne le regarde plus. Elle sait, mais ne peut se résoudre à sa réalité. Parce qu’il n’est pas à la hauteur de son vain espoir de délivrance. C’est bel et bien contre sa volonté propre – en a-t-il une ? – que ce frère la prive de l’instant auquel tout son être aspirait. Où puise-t-elle alors la force de cette danse sauvage mais tarie de sa joie fantasmée qu’elle exécute tel un dernier défi, comme pour que l’Écriture s’accomplisse ?
Économe de mouvements qu’une impérieuse nécessité transcende, la mise en scène de Patrice Chéreau, secondé par Thierry Thieû Niang, tient tout entière de la chorégraphie. Par la beauté picturale d’un geste soudain pétrifié, qui courbe les silhouettes des servantes – bouleversante Roberta Alexander, qui a vu naître et nourri au sein celle dont elle prend seule la défense –, sous le poids de la peur et des humiliations, à moins qu’elle ne les raidisse dans leur obséquiosité, ce souffle d’Égisthe que Clytemnestre ne veut plus entendre.
Un souffle, c’est souvent ce qui passe de – et dans – la voix de Waltraud Meier. Parce que la tessiture l’y condamne. Mais il suffit que ses consonnes sifflent ou claquent pour que le personnage existe, sans grimaces ni effets de poitrine. Le naturel d’Adrienne Pieczonka est plus flagrant encore, qui mêle idéalement la robustesse et le lyrisme épanoui de Chrysothémis. Sans la scène, que resterait-il de l’Elektra d’Evelyn Herlitzius ? Comme pour Nadja Michael dans le rôle-titre de Médée de Cherubini, la question ne peut, ne doit pas se poser. Car à ce degré d’incandescence, qu’importe que l’instrument frôle constamment ses limites, fragile dans la démesure de son éclatement, sans jamais rompre pour autant.
Il est vrai que, fidèle aux Dix commandements de Richard Strauss, et notamment au troisième – Dirige Salomé et Elektra comme s’ils étaient de Mendelssohn : de la musique d’elfes –, Esa-Pekka Salonen ménage entre la fosse et le plateau un équilibre miraculeux. Tout en évitant cette diffraction du noyau sonore que craignent tant les contempteurs des lectures chambristes ou assimilées, alors même que la fascinante lisibilité des timbres ne prive ni l’Orchestre de Paris de sa densité, ni la partition de ses fulgurances paroxystiques – qui ne sont pas, loin s’en faut, qu’une question de décibels. En symbiose avec Chéreau, le chef finlandais plonge ainsi Elektra dans la lumière de l’aube plutôt que dans celle du crépuscule.
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Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence Le 19/07/2013 Mehdi MAHDAVI |
| Nouvelle production d’Elektra de Strauss dans une mise en scène de Patrice Chéreau et sous la direction d’Esa-Pekka Salonen au festival d’Aix-en-Provence 2013. | Richard Strauss (1864-1949)
Elektra, opéra en un acte (1909)
Livret de Hugo von Hofmannsthal, d’après Sophocle
Coro Gulbenkian
Orchestre de Paris
direction : Esa-Pekka Salonen
mise en scène : Patrice Chéreau
collaboration artistique : Thierry ThieĂ» Niang
décors : Richard Peduzzi
costumes : Caroline de Vivaise
éclairages : Dominique Bruguière
Avec :
Waltraud Meier (Klytämnestra), Evelyn Herlitzius (Elektra), Adrienne Pieczonka (Chrysothemis), Mikhail Petrenko (Orest), Tom Randle (Aegisth), Franz Mazura (Der Pfleger des Orest), Renate Behle (Die Aufseherin / Die Vertraute), Florian Hoffmann (Ein junger Diener), Donald McIntyre (Ein alter Diener), Bonita Hyman (Erste Magd), Andrea Hill (Zweite Magd / Die Schleppeträgerin), Silvia Hablowetz (Dritte Magd), Marie-Eve Munger (Vierte Magd), Roberta Alexander (Fünfte Magd). | |
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