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CRITIQUES DE CONCERTS |
31 octobre 2024 |
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Version de concert des Troyens de Berlioz sous la direction de Lawrence Foster à l’Opéra de Marseille.
Accueil houleux pour les Troyens
Valeureuse prise de rôle pour Roberto Alagna abordant Énée. Certes, le ténor se montre parfois inégal, mais il confère au rôle toutes les qualités d’un chant français et d’une élocution irrésistibles. Alors que l’équipe vocale tient avec brio un pari ambitieux, il est désolant que quelques trublions gâchent une soirée qui fait honneur à l’Opéra de Marseille.
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Complicité artistique
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Hommage au réalisme poétique
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Donner les cinq actes des Troyens reste un défi pour toute salle lyrique. Sous l’impulsion de Jacques Karpo, l’Opéra de Marseille avait proposé la Prise de Troie en 1978, avec Guy Chauvet (l’ultime Énée français véritable), Robert Massard et Nadine Denize, puis les Troyens à Carthage en 1980, mais l’intégrale ne fut représentée qu’en 1989, cette fois avec Gilbert Py et Livia Budai, mais Grace Bumbry en Didon.
Presque un quart de siècle plus tard, les Troyens reviennent dans la Cité phocéenne en version de concert, avec Béatrice Uria-Monzon dans les deux héroïnes et les débuts incontournables de Roberto Alagna en Énée. Malgré cet atout médiatique, on s’étonne que les deux représentations n’aient pas totalement fait le plein.
Mais disons d’emblée que pour l’essentiel, justice a été rendue à l’immense partition au niveau vocal, avec une distribution entièrement française, à l’unique exception de l’impeccable Gregory Warren pour Ioppas et Hylas. Les forces maison ont accompli en outre un travail remarquable, même si Lawrence Foster n’est sans doute pas un chef viscéralement berliozien. On déplore surtout quelques coupures étranges.
À la rigueur, l’omission franche des musiques de ballet peut se comprendre, mais on a ici maintenu le Pas d’esclaves nubiennes chanté, une des coupures traditionnelles les plus courantes. Le charcutage sournois opéré en supprimant par-ci par-là quelques bouts de musique est d’autant plus inacceptable que les raisons de ces choix sont obscures.
Côté voix, c’est un sans faute, d’autant qu’on approuve, d’abord, l’idiomatisme linguistique de tous les interprètes. Il n’est pas courant que le texte soit aussi parfaitement compréhensible et articulé. Solide Chorèbe de Marc Barrard et Panthée insolent d’Alexandre Duhamel. À la fois Priam, ombre d’Hector, spectre de Priam et Narbal, Nicolas Courjal est remarquable. Son duo avec l’Anna somptueuse de Clémentine Margaine, grande révélation de la soirée, étant un pur enchantement. On peut prédire à cette jeune mezzo française, non seulement dotée d’un timbre d’une exceptionnelle richesse mais musicale et stylée, une grande carrière.
La double interprétation de Béatrice Uria-Monzon s’attaquant à Cassandre, sans doute à la limite de ses moyens, avec d’être une belle Didon, mérite d’être chaleureusement saluée. Certes, la tessiture de la Reine de Carthage est plus adaptée à sa voix, mais elle trouve aussi des accents convaincants dans le dramatisme de la Prophétesse.
Après tant d’interprètes exotiques, Roberto Alagna renoue avec bonheur avec les Énée français : au niveau du style et de l’élocution, une redécouverte. D’autant qu’il aborde son récit, la redoutable première intervention du fils de Vénus, avec un bel aplomb. Toute la partie héroïque du rôle, notamment les grands aigus, ne lui pose aucun problème. Mais alors que le célèbre duo Ô nuit d’ivresse réclame un chant piano, il choisit de l’exécuter totalement en falsetto, ce qui le place sensiblement en retrait par rapport à sa partenaire.
Il semble dès lors moins assuré et concentré voire déstabilisé, d’où une phrase avalée à la suite d’un départ raté. Un incident somme toute mineur et pardonnable, mais au moment des saluts, deux ou trois huées se font entendre. Était-ce mérité ? Certes non, mais pourquoi avoir cédé à la provocation d’un spectateur du premier rang ? L’aparté qui a semblé interminable entre le ténor et le « connaisseur » pendant que tous les interprètes saluaient le public a provoqué un immense malaise dans la salle.
On peut comprendre le sentiment d’injustice ressenti par un artiste au tempérament fougueux et, sans doute, écorché vif, mais il doit absolument apprendre à se maîtriser et éviter de démarrer ainsi au quart de tour. Certes, à lui, on ne pardonne rien alors qu’on accepte les insuffisances de tant d’autres. C’est sans doute le fruit d’une médiatisation excessive dont il doit assumer les conséquences puisqu’il l’a choisie en menant une carrière parallèle de crooner dans des mégas concerts de variété comme au disque.
Certains puristes en sont agacés et exigent du coup une perfection inhumaine quand le ténor se produit dans des lieux « sérieux ». Pour autant, l’annulation du concert d’Orange avec Anna Caterina Antonacci à la suite de l’incident marseillais est impardonnable tant vis-à -vis de Raymond Duffaut qui a toujours soutenu Alagna que des milliers de spectateurs des Chorégies ayant réservé billets et hôtels depuis des mois. Car si les artistes méritent le respect, les fans aussi.
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Opéra, Marseille Le 15/07/2013 Monique BARICHELLA |
| Version de concert des Troyens de Berlioz sous la direction de Lawrence Foster à l’Opéra de Marseille. | Hector Berlioz (1803-1869)
Les Troyens, opéra en cinq actes (1863)
Livret du compositeur
BĂ©atrice Uria-Monzon (Didon / Cassandre)
Marie Kalinine (Ascagne)
Clémentine Margaine (Anna),
Anne-Marguerite Werste (Hécube / Polyxène)
Roberto Alagna (Énée)
Marc Barrard (Chorèbe)
Alexandre Duhamel (Panthée / Mercure)
Nicolas Courjal (Narbal / Priam / Ombre d’Hector)
Gregory Warren (Iopas / Hylas)
Bernard Imbert (Un Chef grec / Première sentinelle)
Antoine Garcin (Prêtre de Pluton / Deuxième sentinelle)
Wilfried Tissot (Helenus)
Chœur et Orchestre de l'Opéra de Marseille
direction : Lawrence Foster | |
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