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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Reprise au festival de Salzbourg 2013 de Lucio Silla de Mozart dans la mise en scène de Marshall Pynkoski et sous la direction de Marc Minkowski, en coproduction avec la Mozart Woche.
Salzbourg 2013 (1) :
Sur les traces de Karajan
Spectacle sagement abouti que ce Lucio Silla qui marquait en janvier l’intronisation de Marc Minkowski à la tête de la Semaine Mozart de Salzbourg. D’une maîtrise théâtrale et musicale incontestable, le spectacle semble avoir fait son choix entre la vogue expérimentale de l’ère Mortier et l’élaboration formelle sans questions de l’ère Karajan.
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Il n’est pas aisé de relater un spectacle tel que le Lucio Silla du tandem Minkowski-Pynkoski à Salzbourg, tant une forme de perfection peut avoir quelque chose de terne. Intronisé directeur artistique de l’hivernale Semaine Mozart, le chef français a choisi l’œuvre et le metteur en scène, marchant ainsi peut-être involontairement sur les traces – cordes en boyau en plus – de l’ancien démiurge des lieux : on ne sait pas trop si l’on est ici en face d’une production de Benjamin Lazar au format international ou devant une résurrection baroque des années Karajan.
Car les funambulesques productions historiquement informées ont une fâcheuse tendance à tomber d’un côté de la corde, soit dans la poussière archéologique, soit dans le private joke délicieux réservé aux initiés – pour une raison tout à fait valable d’ailleurs, l’anachronisme du public. Pynkoski se tire ici plutôt bien de l’écueil, et propose une lecture très maîtrisée mais sans véritables options de la dramaturgie il est vrai conventionnelle de l’œuvre.
Alors, même si tout est très beau, notamment la scénographie à l’ancienne d’Antoine Fontaine, tout en colonnades, trompe-l’œil, pins de Rome et autres tombeaux romains, rehaussée par d’assez époustouflants éclairages d’Hervé Gary, on s’ennuie quelque peu dans une dramaturgie répétitive, une gestuelle académique et pourtant énergique.
La danse très présente – chorégraphiée par Jeannette Lajeunesse Zingg, la partenaire depuis 1985 de Pynkoski, lui-même danseur – est l’occasion d’un jeu habile avec les conventions, avec la peinture du XVIIIe siècle, Fragonard surtout, mais aussi des a parte avec arrêts sur image en des tableaux vivants léchés mais artificiels.
Questionnant peu les personnages au sens moderne du terme, la mise en scène campe au moins un despote complètement bipolaire qui ménage dès le début la plausibilité de son retournement final ; Rolando Villazón y brûle les planches – au prix, il est vrai, de quelques écarts de style assez effrayants – et fait exister avec une libido hystérique cet archétype bien difficile à incarner.
On ne peut s’empêcher pourtant de regretter l’abondance d’attaques approximatives, de sons blancs, d’expressionnismes ici très exotiques et occasionnant parfois de dangereuses chutes de diapason, qui entachent cette incarnation passionnée et passionnante.
Son rival Cecilio bénéficie de la fraîcheur de Marianne Crebassa, beau matériau, agile, musical, malheureusement trop souvent aux prises avec une émission menacée d’avalement et de voyelle unique, qui valent déjà ici ou là quelques aigus soudain stridents dans une couleur d’ensemble un peu tubée. Si le Cinna d’Inga Kalna affiche un format insolent, les duretés du timbre et la vocalisation approximative cantonnent le personnage dans un rôle volontairement plus prosaïque, voire parodique, au final convaincant.
Enfin, face à la Celia peste acidulée et incestueuse d’Eva Liebau, juste assez empoisonneuse, juste assez ravissante idiote, la belle figure féminine de Giunia bénéficie du chant soigné et iridescent d’Olga Peretyatko, modèle de flexibilité et de classe en scène. Si quelques voyelles engorgées ou coincées dans la mâchoire trahissent dans les récitatifs la voix slave, la précision et l’élégance dominent largement dans un rôle vocalement exigeant et musicalement beaucoup plus riche qu’on ne l’imagine.
Chef-d’œuvre du genre, la partition d’un Mozart de seize ans, qui tiendrait la comparaison avec Mitridate, n’était un livret résolument plus faible mais dont Titus se souviendra, est un trésor de l’opera seria dans l’acception la plus noble du terme : invention, caractérisation, chœurs et ensembles, tout concourt à un divertissement de cour on ne peut plus abouti.
Marc Minkowski tire de ses Musiciens du Louvre les couleurs et le panache qui ont fait leur réputation, se perdant toujours quelque peu dans une agogique négligente et laissée au bon vouloir de l’orchestre. Un petit bémol au passage pour des cadences vraiment excessives – Olympia est battue par les trois octaves de Giunia, et Silla se perd littéralement dans une errance à mi-chemin entre le début du III de Tristan et Zerbinette.
Au final, on se régale comme à l’époque, musicalement, vocalement, et l’argument est empoigné avec enthousiasme. On pourra être frustré de n’avoir pas plus réfléchi ou rêvé sur cette histoire ; le public ne l’est pas, à en juger par le déluge d’applaudissements. Mais au fond, qui venait pour autre chose du temps de Karajan ?
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