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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Gawain de Birtwistle dans une mise en scène d’Alvis Hermanis et sous la direction d’Ingo Metzmacher au festival de Salzbourg 2013.
Salzbourg 2013 (3) :
La Nuit des morts-vivants
On ne change pas une équipe qui gagne. Après des Soldats historiques l’été dernier, Alexander Pereira a reconduit le tandem Hermanis-Metzmacher à l’assaut d’un revenant, l’opéra Gawain de Harrison Birtwistle, détourné de son contexte arthurien au profit d’une lecture dystopique, dans un monde post-apocalyptique rongé par la désolation.
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Qui, aujourd’hui, connaît encore Gawain, cinquième ouvrage scénique du compositeur britannique Harrison Birtwistle (bientôt quatre-vingts ans), créé à Covent Garden en 1991 ? Hormis un enregistrement Collins capté sur le lieu de création lors d’une reprise de 1994, il n’en restait jusqu’ici guère de trace.
Dans une conférence de presse à Paris en novembre dernier, Alexander Pereira, directeur du festival de Salzbourg, faisait savoir que la création commandée pour cet été à György Kurtág avait pris du retard, et qu’il avait de ce fait demandé à Birtwistle, compositeur en résidence 2013, d’exhumer son opéra sur une thématique pour le moins wagnérienne en cette année anniversaire.
Gawain narre en effet en langue anglaise l’histoire du chevalier Gauvain, tirée d’une des légendes arthuriennes de la Table ronde, qui à Noël relève effrontément le défi lancé par le Chevalier vert – apparu suite à un complot de la Fée Morgane souhaitant semer le désordre à la cour – proposant de se laisser décapiter par quiconque acceptera de connaître le même sort un an et un jour plus tard.
Le deuxième acte illustre le voyage initiatique de Gauvain vers la Chapelle verte, et son escale de trois jours au château de Bertilak qui lui permet de se révéler tel qu’en lui-même : il sauvera sa tête en résistant à la séduction de Lady de Hautdesert pendant les trois parties de chasse de son époux, en réalité double du Chevalier vert.
La musique, qui fait la part belle au rituel – les coups frappés à la porte – et aux répétitions, résonne en toile de fond continue de noirceur éruptive, suffocante dans son enveloppement morbide, avec ses cuivres enténébrés, ses assauts de percussion et ses incessantes tenues. Alvis Hermanis a imaginé un visuel plus glauque encore que l’atmosphère sonore, inspiré par les créations du plasticien écolo-alarmiste Joseph Beuys.
Sa mise en scène se déroule en 2021, après une catastrophe écologique ayant décimé une humanité retournée pour ce qu’il en reste à des comportements primitifs, et où le surnaturel n’est jamais loin. Dans un combat permanent entre naturel et culturel, paganisme et christianisme, le metteur en scène touche, malgré un détournement en apparence flagrant, aux thématiques mêmes de l’opéra.
Son décor posé sur les arcades du Manège des rochers recouvertes de mousses, de feu puis de suie par les miracles de la vidéo dit la désolation de la situation, sorte de bunker léprosé et blafard où s’entassent pêle-mêle carcasses de voitures couvertes de lichens, cercueils et squelettes, jusqu’au cadavre d’un sapin de Noël couvert d’une méchante guirlande.
Dans des costumes de résistants façon science-fiction dystopique, la cour d’un roi Arthur en fauteuil roulant, affamée, se livre au cannibalisme, les dévorés finissant en morts-vivants remisés derrière les vitres de couloirs sinistres après l’arrivée du Chevalier vert en statue équestre, couvert de mousse, comme Morgane et Lady de Hautdesert, symboles tous trois du monde païen.
Très forte dans un premier acte au cordeau, la mise en scène s’essouffle durant le long deuxième acte – donné sans les coupures de la révision de 1994, et même avec un ajout final substantiel de 1999 donnant l’impression que le compositeur n’a pas su finir – où une fois les procédés installés, on cherche surtout à meubler un temps assez dilaté – les vidéos de tsunamis en soi impressionnantes projetées sur un pan de décor.
Par chance, le spectacle retrouve son acuité à la toute fin, au retour victorieux de Gauvain, qui devant la futilité de la cour refuse d’endosser le rôle du héros et finit lui-même dévoré, victime expiatoire d’un univers pourri, tandis qu’Arthur, enfin redressé sur ses deux jambes, semble devoir rester au pouvoir.
Musicalement, on atteint aux mêmes sphères que dans les Soldats l’an passé. Et le changement intervenu dans la fosse entre les Wiener et le plus modeste ORF Radio-Symphonieorchester Wien se fait à peine remarquer grâce à la baguette toujours aussi incandescente d’Ingo Metzmacher, qui fait triompher une partition cataclysmique – une grosse caisse déchaînée –, au point d’éclipser totalement le prudent Elgar Howarth de la création.
Le plateau, déjà méritant d’avoir réussi à se mettre pareils motifs plus ou moins répétés dans la mémoire, est assez éblouissant, à l’exception du roi Arthur pas assez centré de Jeffrey Lloyd-Roberts. Excellents mélismes hypnotiques de Laura Aikin et Jennifer Johnston en Morgan Le Fay et Lady de Hautdesert, Guenièvre hystérique à souhait de Gun-Brit Barkmin, et contre-ténor idéalement projeté d’Andrew Watts en Évêque Baldwin.
Il est jusqu'à John Tomlinson, déjà Chevalier vert et Bertilak à la création, certes vieilli dans le soutien de l’aigu, de tenir admirablement le choc avec son timbre noir si caractéristique. Quant à Christopher Maltman dans le rôle-titre, encapuchonné tel l'ermite de Beuys puis sous les atours du peintre lui-même, fier chevalier tellement plus éclairé que ses congénères, seul témoin d’humanité dans un monde de brutes, il fait pâlir sans peine le souvenir de François Le Roux.
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Felsenreitschule, Salzburg Le 08/08/2013 Yannick MILLON |
| Nouvelle production de Gawain de Birtwistle dans une mise en scène d’Alvis Hermanis et sous la direction d’Ingo Metzmacher au festival de Salzbourg 2013. | Harrison Birtwistle (*1934)
Gawain, opéra en deux actes (1991)
Livret de David Arsent d’après la romance médiévale Sir Gawain and the Green Knight
Création autrichienne
Salzburger Bachchor
ORF Radio-Symphonieorchester Wien
direction : Ingo Metzmacher
mise en scène & décors : Alvis Hermanis
costumes : Eva Dessecker
Ă©clairages : Gleb Filshtinski
vidéo : Raketamedia Moskau
préparation des chœurs : Alois Glassner
Avec :
Christopher Maltman (Gawain), John Tomlinson (The Green Knight / Bertilak de Hautdesert), Laura Aikin (Morgan Le Fay), Jennifer Johnston (Lady de Hautdesert), Jeffrey Lloyd-Roberts (King Arthur), Gun-Brit Barkmin (Guinevere), Andrew Watts (Bishop Baldwin), Brian Galliford (A Fool), Ivan Ludlow (Agravain), Alexander Sprague (Yvain). | |
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