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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Liederabend Schumann de Christian Gerhaher accompagné au piano par Gerold Huber au festival de Salzbourg 2013.
Salzbourg 2013 (4) :
Gerhaher n'est pas drĂ´le
Programme magistral et interprétation souveraine pour un récital Schumann du tandem Christian Gerhaher et Gerold Huber. De vrais choix interprétatifs emportent une adhésion sans réserve et enlèvent toute envie de se poser des questions sur autre chose que le contenu de cette musique. Un luxe pour le critique d’aujourd’hui auquel nous nous adonnons le cœur léger.
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Lorsqu’un chanteur conçoit un programme de Liederabend, il s’expose immanquablement à la même méfiance : est-ce que c’est assez varié, est-ce que le public ne va pas s’ennuyer, est-ce que tout ça n’est pas trop sévère ? Alors il peut glisser gentiment la Truite au milieu des Quatre Chants sérieux, et on n’en parle plus.
Mais Christian Gerhaher n’est pas comme ça. Il n’est pas drôle, c’est le moins que l’on puisse dire. Et cela fait du bien – en particulier ici, au milieu des diamants de Salzbourg. Pas drôle à ce point, à part Quasthoff, nous ne connaissions pas – ou plus. Comme il est passionnant de se plonger dans ce programme cohérent servi par une interprétation d’une rigueur glaçante mais au moins digne de cette musique !
Car cette soirée tout Schumann sera sous le signe du désespoir et de la folie, tant dans le choix bipolaire des pièces – Heine mais Goethe, pourrait-on schématiser, la paranoïa ironique mais la lucidité des Lumières – que dans une démarche expressionniste et sans concession. Le ton est donné avec un Opus 107 qui n’a jamais tant ressemblé à la déclamation hallucinée des pires fantasmagories de Wolf, perdu d’avance, sans retournement tragique. L’angoisse solitaire de Im Wald est palpable, le panthéisme las de Abendlied bouleversant.
Dans Dichterliebe, le duo – car il s’agit ici d’un travail d’équipe, que l’on devine littérairement conçu à deux, ce qui est un beau compliment pour un Gerold Huber par ailleurs attentif et maîtrisé – propose une vraie interprétation, pas simplement un savoir-faire expressif comme trop souvent : un parti-pris de gravité, d’amertume, sans ironie de la part d’un poète déjà désespéré.
Le syllabisme, l’agogique souple, et chez le chanteur la hauteur imprécise des attaques, le vibrato tantôt frénétique tantôt absent, et la pleine voix toujours grondeuse donnent comme chez Wolf une sorte de primauté absolue aux mots sertis dans la musique du piano, tandis que la mélodie vocale n’offre que peu de pur plaisir – mais s’il était question de plastique vocale dans ce répertoire, cela se saurait.
Ich will meine Seele tauchen est ici comme rarement le point de rupture entre le rêve d’amour et l’amour malheureux – se sont-ils donné le mot avec Richard Strokes qui a signé le programme de salle et propose cette lecture du cycle ? – tant le caractère en est véhément, tout sauf en demi-teinte.
C’est donc tout naturellement que le freundlich de Im Rhein sera véritablement souriant, que Ein Jüngling ne prodiguera aucune fausse joie, qu’un Ich hab’ im Traum geweinet architecturé et bénéficiant du timbre creux avec peu de basses d’un piano funèbre en diable, entamera la trajectoire vers l’inéluctable fin du cycle – que Gerhaher assumera en s’asseyant pendant l’ultime coda, poète goûtant le douloureux écho de ses amours perdues.
À ce niveau d’aboutissement, on n’ergotera pas sur telle imperfection technique – certains phonèmes pas très heureux – mais bien plutôt sur l’héritage malheureux de Fischer-Dieskau : à force de s’imposer comme le plus grand chanteur de Lied de sa génération, ce qu’il était sans doute, il a fait oublier que l’essentiel du répertoire est écrit sinon pour ténor, du moins pour voix aiguë, dédouanant ainsi les interprètes de l’observance du plan tonal, a fortiori quand ils transposent certains numéros seulement.
La deuxième partie enfonce le clou de la gravité, avec, outre des extraits tourmentés des Lieder espagnols des Opus 74 et 138, des Wilhelm Meister fantomatiques et le très noir Einsiedler.
Sommet de raffinement du programme, les deux triptyques heinéens tirés respectivement des Opus 53 et 64 ménagent des passerelles habiles entre ce qui a précédé – In meiner Brust est une géniale réminiscence simultanée de Wer sich der Einsamkeit ergibt et Hör’ ich das Liedchen klingen, réconciliant Goethe le naïf et Heine le sentimental – et ce qui va suivre : si Entflieh’ mit mir marque les limites de la voix de baryton avant un Es fiel ein Reif très sophistiqué, un Auf ihrem Grab résigné cite le voyage heureux de l’Opus 35 (n° 3) dont on retrouvera en bis les n° 8 et 10 – Stille Liebe délicat puis Stille Tränen faisant la part belle au murmure, sur un tapis pianistique velouté.
Curieusement, c’est dans ce programme très noir qu’on aura le plus remarqué le talon d’Achille de la palette expressive de Gerhaher : le sourire semble y manquer. C’est le petit bémol, avec la question des tonalités – car le piochage au sein des opus n’est nullement problématique chez Schumann si la construction le justifie comme ici –, que l’on pourrait émettre sur ce concert, tant les rarissimes moments où le baryton s’essaie à un peu de fraîcheur – Allnächtlich im Traume, Aus alten Märchen – sont les moins convaincants du programme.
Non, décidément, Gerhaher n’est pas drôle. Et ce n’est pas pour nous déplaire.
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Mozarteum, Salzburg Le 08/08/2013 Thomas COUBRONNE |
| Liederabend Schumann de Christian Gerhaher accompagné au piano par Gerold Huber au festival de Salzbourg 2013. | Robert Schumann (1810-1856)
Sechs Gesänge op. 107
Dichterliebe op. 48
Lieder und Gesänge aus Wilhelm Meister op. 98a (n° 2, 4, 6, 8)
Spanisches Liederspiel op. 74 (n° 6 Melancholie)
Romanzen und Balladen op. 53 (n° 3 Der arme Peter)
Spanische Liebeslieder op. 138 (n° 2 Tief im Herzen trag’ ich Pein)
Romanzen und Balladen op. 64 (n° 3 Tragödie)
Drei Gesänge op. 83 (n° 3 Der Einsiedler)
Christian Gerhaher, baryton
Gerold Huber, piano | |
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