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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Così fan tutte de Mozart dans une mise en scène de Sven-Eric Bechtolf et sous la direction de Christoph Eschenbach au festival de Salzbourg 2013.
Salzbourg 2013 (11) :
L’empoisonneur empoisonné
Production brillantissime que ce Così fan tutte où rien ne bouscule le livret, mais avec quelle efficacité ! Plateau irréprochable, personnages caractérisés, énergie et sincérité à tous les étages. On oublie bien vite une direction banale pour se concentrer sur la subtilité du regard porté sur les rapports amoureux loin de tout stéréotype.
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Face à la Norma revivifiée de Caurier et Leiser, le Così au fond bien conventionnel de Sven-Eric Bechtolf peut paraître décevant. Mais il serait hasardeux de se limiter à ce critère de la modernité pour juger le travail, en tous points exemplaire, de l’équipe de ce dramma giocoso maîtrisé comme rarement.
Car si la conception du metteur en scène fait preuve de plus de littéralité que d’audace, elle n’en reste pas moins fouillée, remarquablement cohérente, et menée collectivement tambour battant. Dans une scénographie efficace à défaut d’être réellement captivante – elle souffre surtout d’un esthétisme un peu bourgeois, notamment le jardin d’intérieur du I –, les couples suivent des trajectoires évitant toute symétrie automatique.
Si le dénouement voit ainsi se reconstituer les couples d’origine, Guglielmo semble ne devoir jamais pardonner aux filles, tandis que sa Fiordiligi est bel et bien tombée amoureuse de Ferrando – et quoi de surprenant à ça, puisqu’à la différence de Dorabella, séduite sans grande peine par de simples frivolités, elle a fait l’expérience de la souffrance ultime de l’amour ?
Cette tristesse, pour ne pas dire cette brutalité de la vie sur les sentiments humains, presque tangible quand Alfonso réassortit les couples initiaux, est ainsi la principale composante du personnage de Fiordiligi, ici servi par l’émission soignée, le vibrato à fleur de peau, la délicatesse du chant de Malin Hartelius, qui, si elle excelle dans les passages comiques, n’en reste pas moins d’une noblesse de cœur manifeste – différence de rang entre les sœurs tout à fait évidente dans la musique, d’ailleurs.
Il y a quelque chose de glaçant à voir les grosses ficelles tirées par le Ferrando sans grand relief de Martin Mitterrutzner, au fond parfait dans cette conception du personnage, bellâtre, sans imagination, Alfonso devant lui souffler chacune de ses paroles de séduction dans un Ah ! lo veggio traité en sérénade au kilomètre : c’est à la sensibilité de sa propre âme que se prend cette figure féminine exaltée et fondamentalement aimante.
La morale du vieux philosophe semble ainsi moins concerner la nature volage des femmes que la capacité à piéger n’importe quel cœur fragile ; dès lors, toute la pesanteur moralisatrice est évacuée, et il n’est pas besoin d’autre modernité que le théâtre. C’est ainsi que le passionnant Gerald Finley, déchaîné, poseur, aristo en diable, conduit avec un humour et une allure inégalable cette ronde folle des sentiments ; l’autorité de sa déclamation n’a d’égale que la splendeur de ses moyens vocaux et la plasticité d’un chant tantôt plein de sous-entendus, tantôt sincère malgré soi – Soave sia il vento.
Il trouve en Martina Janková, toute radiance de timbre et frémissement vocal, une complice parfaite, d’une énergie positive qui rappellerait Lucia Popp, espiègle, inventive, passionnée, spontanée, victime elle aussi des malfaçons des hommes – In uomini –, bref touchante et dont peut-être on tomberait plus facilement amoureux que des padrone plus à l’écoute de leurs conceptions que de leur cœur, à des années-lumière de la peste superficielle trop souvent entendue.
Le retournement rapide de Dorabella est ainsi bien plus crédible que lorsqu’une Despina délurée et manipulatrice n’inspire que de la méfiance ; timbre bien frappé, non sans verdeurs et duretés, mais avec une évidente immédiateté, Marie-Claude Chappuis s’impose sans états d’âme, impulsive, instinctive, toute dans la joie et la passion, d’une véritable candeur de petite fille où l’échange des portraits gagne une innocence touchante.
On n’en déteste que plus le détachement d’un Luca Pisaroni haut en couleur et fort en voix, Guglielmo particulièrement grande gueule et content de lui, qui s'exclut de l’action au moment où sa partie vocale se désolidarise du trio – E nel tuo, nel mio bicchiero – pour ruminer ses envies de meurtre tout en touillant machinalement une potion d’Alfonso.
Tout naturellement, pour avoir joué avec le feu, ce dernier s’empoisonnera sur les derniers accords – assénés avec aussi peu de précision que tout le reste de la soirée par des Wiener semblant parfois au bord du ratage – Donne mie – sous la battue rêche et sans grand intérêt de Christoph Eschenbach. L’empoisonneur empoisonné !
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