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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Récital du ténor Juan Diego Flórez accompagné au piano par Vincenzo Scalera au festival de Salzbourg 2013.
Salzbourg 2013 (12) :
Les faux amis
Rien à redire à la prestation de Juan Diego Flórez, dont la place au firmament du bel canto international est amplement méritée. Mais on gardera de ce récital un vrai ennui, une vraie frustration quant au programme, pur prétexte à la seule démonstration vocale. Ce doit être psychologique : il ne fallait pas écrire Liederabend sur les affiches.
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Il faut se méfier des faux amis. C’est une chose bien connue dans les langues étrangères, et cette méprise peut causer des quiproquos embarrassants. Alors bien sûr, même avec beaucoup de naïveté, on sait qu’un Liederabend de Flórez ne risque pas de ressembler à un Liederabend de Gerhaher ; et même, on ne le souhaite pas, car il n’est pas sûr qu’un rossignol rossinien soit le meilleur des oiseaux prophètes.
Bref, on l’a bien compris ce soir, en allemand Liederabend ne veut rien dire d’autre que récital. Nous le savions. Mais le faux ami va plus loin : car le récital auquel on assiste se révèle être l’essence de tout ce qui contrecarre la musicalité. C’est – en tout cas visiblement pour le public – un tour de chant plus encore qu’un récital. Autrement dit un tour de cirque plus encore qu’un concert.
Bien peu d’œuvres vocales ont été pensées pour le concert. L’opéra est pensé pour la scène, pour une durée, pour un contexte. Quand il s’agit de bel canto, à la limite, la scène elle-même était à l’époque un prétexte au récital, alors pourquoi pas ? Mais l’opéra romantique s’est érigé sur le refus de l’invraisemblance conventionnelle présente dans l’ancien bel canto. Avec plus ou moins de réussite, de sincérité. Mais avec au moins cette démarche.
En diluer des extraits dans les Arie di stile antico de Stefano Donaudy – qui valent ce qu’elles valent musicalement mais au moins sont conçues pour le cadre du récital, tout comme les Tosti –, les faire alterner sans vergogne avec Semele de Haendel – dans un anglais difficile, même pour de la musique baroque où on tolère beaucoup d’italianismes –, le tout dans d’indigentes réductions pour piano dignes des pires auditions de classes de chant, c’est affirmer haut et fort que tout cela n’est qu’un prétexte, qu’il n’y a ni personnages ni enjeu dans ce répertoire.
Le programme imprimé ne se prive d’ailleurs pas pour omettre généreusement les noms des poètes quand ils n’ont pas comme D’Annunzio l’heur d’être célèbres, et pour résumer laconiquement les arguments des opéras en question en essayant de les vendre comme faisant partie d’une même thématique qu’on pourrait résumer ainsi : chants d’amour d’un ténor malheureux.
La zarzuela ne fait pas l’objet de telles prévenances : trop marginale sans doute, elle est bien vite expédiée pour finir joyeusement la soirée, mais on ne saura jamais si l’on était censé goûter la légèreté ou le sentimentalisme de la musique.
C’est qu’on fond on n’est censé faire qu’une seule chose, et le public, à la différence de nous, ne s’y est pas trompé : loin de consulter le programme, il écoute, à l’affût. Plus précise qu’aucune oreille absolue, son oreille exercée reconnaît sans faillir le contre-ut, et il n’est que d’écouter les applaudissements pour savoir si l’air finissait sur un si – applaudissements polis – ou sur un ut – délire général.
Cela tombe bien, ledit contre-ut est peut-être la note la plus épatante de la tessiture de Flórez, dont nous ne voulons pas ici minimiser les immenses qualités vocales – quel timbre radieux ! –, techniques – la précision de l’aigu, la régularité, l’agilité – et musicales – l’énergie communicative, l’italianità , le naturel.
On notera tout de même quelques menues réserves, une prononciation exotique en français et anglais, un rubato parfois malhabile, une introspection pas toujours spontanée, et plus techniquement une voix mixte souvent détimbrée ou engorgée, jamais remarquée en enregistrement – Pourquoi me réveiller donné en bis.
(Bel ?) effort de mise en scène, le pianiste entrera seul le temps du prélude de l’air de Roberto Devereux, et le chanteur se mettra en place seulement au moment de chanter, pour nous rappeler que tout cela est dramatique. Mais Vincenzo Scalera a beau faire, on ne sait, du Wolf ou du Debussy dans Parted de Tosti, du Schumann dans Haendel, Flórez saluera systématiquement tout seul, tant personne n’est dupe de la place de la musique dans cette soirée.
Six bis réclamés par un public debout, allant de l’inévitable air de la Fille du régiment il est vrai magistral d’efficacité mais aussi de musique – la redescente dolce après les ut – à Pâris et la Donna è mobile, et voilà la boucle bouclée.
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Haus fĂĽr Mozart, Salzburg Le 29/08/2013 Thomas COUBRONNE |
| Récital du ténor Juan Diego Flórez accompagné au piano par Vincenzo Scalera au festival de Salzbourg 2013. | Donaudy, Haendel, Meyerbeer, Verdi, Tosti, Luna, Guerrero, Serrano, Donizetti
Juan Diego Flórez, ténor
Vincenzo Scalera, piano | |
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