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CRITIQUES DE CONCERTS |
25 novembre 2024 |
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Nouvelle production d’Aïda de Verdi dans une mise en scène d’Olivier Py et sous la direction de Philippe Jordan à l’Opéra de Paris.
Un piètre scandale
Après le Ring, Nicolas Joel ose Aïda sur la scène de l’Opéra de Paris, où l’antépénultième ouvrage lyrique de Verdi n’avait pas été représenté depuis près d’un demi-siècle – au moins aura-t-il eu cette audace-là ! Brandissant le contexte politique de la composition tel un étendard, la mise en scène d’Olivier Py croule sous les ors, les cadavres et les – bonnes ? – intentions.
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Quarante-cinq ans d’absence sur la scène de l’Opéra de Paris, c’est certes beaucoup trop pour l’un des ouvrages les plus populaires du répertoire. Mais le retour d’Aïda, dont l’écriture exige de chanteurs de grand format qu’ils se plient à la discipline la plus extrême, s’imposait-il en ce temps de pénurie de voix verdiennes, qui plus est le jour même du bicentenaire de la naissance du compositeur ?
Oksana Dyka possède une grande voix. Plus puccinienne cependant, voire vériste, que verdienne. Parce qu’il lui manque le sens et la conscience de la ligne, la variété des couleurs, souvent agressives, un grave moins grêle et empirique, un aigu plus souple, et surtout une palette de nuances qui ne se limitent pas à un vague mezzo forte : Ritorna vincitor est disqualifié par un vibrato chaotique, et l’air du Nil, bien que plus tenu, indiffère par sa dynamique univoque.
Quant au duo final, cette Aïda de plein air n’y laisse aucune chance à Marcelo Alvarez qui, envers et contre tout, soigne les demi-teintes que Radamès, ténor héroïque, mais d’abord transi, réclame. Celeste Aida le cueille évidemment à froid, phrasé haché, pulsation inquiète, et montées écourtées. C’est qu’en dépit de la densité acquise au fil des années, et d’un registre supérieur généreux et solaire quoique dépourvu du métal de ses plus glorieux prédécesseurs, l’Argentin demeure un lirico, qui chez Verdi ne devrait pas s’aventurer au-delà de son superbe Riccardo du Bal masqué.
Qu’attendre de Luciana D’Intino après trente ans de carrière ? La mezzo italienne a non seulement su conserver une certaine stabilité d’émission, mais aussi la facilité, à défaut de l’impact, des notes les plus élevées, voire une forme de distinction dans un haut médium néanmoins avare de consonnes. Mais un trou dans l’une des zones les plus sollicitées par la tessiture d’Amnéris l’oblige à poitriner toujours plus outrageusement, et l’inscrit, malgré de sensibles efforts de modulation, dans la lignée plébéienne de Fedora Barbieri, plutôt que celle, aristocratique, de Giulietta Simionato.
S’il peut se prévaloir d’une mordante noirceur, le baryton engorgé de Sergey Murzaev voue à l’échec la moindre tentative d’allégement de son Amonasro pataud. Hormis le Ramfis de Roberto Scandiuzzi, authentique basse italienne à l’autorité inaltérée, nul n’est donc absolument à sa place, et ce chant d’un niveau désespérément standard tend à écraser les mille raffinements de la baguette de Philippe Jordan.
Son travail d’orfèvre sur les textures miroitantes de l’orchestre verdien atteint son apogée sur les rives du Nil et dans le duo final, sans que jamais la tension dramatique ne se relâche. Et pourtant, le poids qu’il porte sur les épaules est d’autant plus lourd qu’après la relative épure de son Alceste à Garnier, Olivier Py joue sans complexe – n’est-ce pas d’ailleurs cette démesure assumée, et partant en totale contradiction avec l’époque, qui rend le personnage fascinant ? – la carte du monumental. Mais en évacuant d’emblée toute référence à l’Égypte des pharaons, confinée au rang de mauvais prétexte.
Puisque Verdi entama l’écriture d’Aïda au moment même où Rome, ultime rempart à l’unification, était rattachée au royaume d’Italie, le metteur en scène compose une histoire du nationalisme et de ses crimes. À l’horizon un champ de ruines, et l’arc de triomphe de l’Empire d’Autriche bâti sur un charnier. L’amour sacré de la patrie, et le pouvoir de Dieu lié à celui des armes – Ramfis, élevé à l’épiscopat, peut-être même à la papauté, bénit un char d’assaut –, la haine de l’autre mènent inévitablement à la mort. Fallait-il pour autant déployer un tel arsenal de pancartes ?
Pour que sa parole porte loin, Py hurle dans un mégaphone. Mais le gigantisme de la Bastille, sa machinerie enfin mise à contribution, le poussent à appuyer ses effets et à sombrer dans un didactisme redondant. Et puis de l’or partout, qui éblouit un peuple colonisé, persécuté, pour mieux le broyer. Car le poète a le sens de l’image autant que du grandiose : une ballerine danse au-dessus des cadavres, une croix enflammée.
Même si la signature est trop voyante, la conception, une fois encore, est admirable. Mais comme lorsqu’il n’a pas face à lui des chanteurs habités, le directeur d’acteurs démissionne et les personnages n’existent pas, à moins que sous le poids du politique dominé par le religieux, l’humain capitule, qui s’efface pianissimo, morendo, sempre dolcissimo.
Pour peu qu’Olivier Py ait failli, ce n’est pas tant avec ses soldats en treillis ou sa représentation insistante d’un catholicisme belliqueux – entre autres signes de cette fidélité à l’œuvre brandie tel un étendard – qu’en sacrifiant ces indications dynamiques au vacarme. Sur scène et dans la salle. Huées et noms d’oiseaux entre les actes, bronca obligée au rideau final, tout cela fait, au fond, un bien piètre scandale.
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Enfin une Aïda au milieu du désert
Le niveau d’une grande maison se mesure, dit-on, à la qualité de ses secondes distributions et, le cas échéant, de ses doublures. Et c’est bel et bien un fossé, mieux, un gouffre, qui dès les premières interventions du rôle-titre se creuse entre Lucrecia Garcia et la malheureuse Oksana Dyka. Car la soprano vénézuélienne non seulement domine la tessiture, mais avec une aisance et une chaleur sur tout l’ambitus qui, au milieu du désert, sont plus qu’un baume, une bénédiction.
Si l’aigu forte a tendance à déborder, l’air du Nil culmine sur un ut tenu et serein, sinon dolce, tandis que la dynamique, d’abord limitée, s’assouplit au fil du III pour s’épanouir dans les pianissimi du duo final. La présence est massive, certes, mais suffisamment mobile, et surtout sincère. Au point que l’Amonasro de Sergey Murzaev, stimulé peut-être par cette partenaire inespérée, paraît soudain moins mauvais. De là à résoudre la crise du chant verdien…
Robert Dean Smith annoncé souffrant, Zwetan Michailov a pour seul mérite de sauver la représentation – ou du moins ce qui peut l’être. Dans un tel contexte, sa gaucherie en scène lui est d’autant moins reprochable qu’Olivier Py a tout sauf creusé ses personnages, et Radamès sans doute encore moins que tous les autres. Mais ces consonnes indifférenciées, ce vibrato contraint et poussif, ce timbre sans ombre ni éclat ne sont pas dignes, même au pied levé, de l’Opéra de Paris.
Tout d’un bloc, et pourtant inégale, l’Amneris assez caricaturalement slave d’Elena Bocharova fait passer Luciana D’Intino pour un modèle de raffinement. Mais qu’importe les errements du chant et les pesanteurs de la mise en scène, qui continue, en cette quatrième représentation, à susciter l’ire du public. Oui, qu’importe, puisque la baguette de Philippe Jordan suscite une nouvelle fois, et à un degré d’aboutissement supérieur à la première, des équilibres miraculeux au sein d’un orchestre aux reflets d’or.
Même distribution sauf Lucrecia Garcia (Aïda), Zwetan Michailov (Radamès) et Elena Bocharova (Amnéris). Opéra Bastille, le 20 octobre 2013.
Mehdi MAHDAVI
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